Dix-huit mois qu'ils se pratiquent, s'observent, se jaugent. En public, ils multiplient les protestations d'amitié. Mais entre le leader d'une Amérique plus arrogante que jamais et le président d'une France toujours cabrée contre la prétention des Etats-Unis de régenter le monde, les rapports ne sauraient être simples.

Hier, il ne voulait à aucun prix d'une formation unique de la droite. Aujourd'hui, il l'impose. Pour moderniser son camp, mais aussi pour le faire marcher à la baguette.

Combien de temps faut-il à un peuple civilisé pour passer de la défiance à la complaisance, de la moquerie à la soumission ?

C'est une lutte qui s'est déroulée en coulisse : depuis des semaines, la France tente de soumettre les initiatives américaines aux règles des Nations unies.

Que le premier personnage de l'Etat reste intouchable pénalement pendant son mandat, fort bien ! Mais pourquoi proposer de le protéger également contre tout procès civil ? Et surtout, pourquoi inventer cette étrange procédure d'"impeachment" à la française ?

Malgré les attaques de Hollande contre Villepin, la gestion de la crise irakienne par Chirac plaît aux socialistes. Et provoque un malaise contenu dans cette question : qu'aurait fait Jospin ?

Et maintenant son refus de se plier à la croisade de George Bush, le président français a choisi une voie étroite. Même si sa popularité est à son plus haut niveau, les retombées économiques - et politiques - de son coup d'éclat risquent d'être lourdes.

Pour les Américains, l'attitude de la France est incompréhensible, insupportable. Alors l'administration Bush a décidé de punir l'alliée qui lui a manqué. Rétorsions économiques, représailles pétrolières, sanctions diplomatiques : tout est envisagé. Mais entre-temps Chirac a rallié tous ceux qui s'opposent à l'hégémonie américaine.

L'offensive de George Bush sera sans doute victorieuse. Mais elle a commencé par un échec : la Berezina diplomatique essuyée par les Etats-Unis à l'ONU. Le président américain a beau désigner la France comme bouc émissaire, il a dû se résigner à faire la guerre pratiquement seul. La guerre ne sera donc qu'américaine.

Après un an de pouvoir, le président le mieux élu de la Ve, flanqué d'un Premier ministre qui agace la droite et hérisse la gauche, va-t-il se retrouver dans une situation qu'il connaît mieux que personne : la dissolution de sa propre popularité ?

Tenir, tenir jusqu'à l'absurde... Et ce malgré la débâcle de la droite, dimanche dernier. Au risque d'une coupure profonde avec le pays. A gauche comme à droite, la décision d'un président désormais solitaire dans son bunker élyséen dépasse les interprétations.