L’enfant doué mais paumé des quartiers pauvres, l’immigré talentueux mais désargenté et sous-informé, et plus généralement nombre de ceux qui n’ont pas la bonne couleur de peau, ont de grandes chances de rester à l’orée de la société française - au moins bloqués à un certain niveau. Des réalités provoquées par la frilosité des élites de ce pays brouillé avec la diversité.

Le scepticisme qui s’exprime en France à l’endroit de la méritocratie scolaire est connu. En voici un échantillon, emprunté à un message posté sur le réseau social Twitter: «La méritocratie est une légende. La reproduction des classes est actée. La sociologie le démontre parfaitement.» Cette idée est répandue en particulier au sein de la population étudiante actuelle, où le phénomène a été documenté. Ce dont je voudrais traiter dans ces lignes va plus loin.

Le ministre de l'Education nationale l'a annoncé en septembre : un budget en hausse, mais des effectifs en baisse, avec la suppression de 1 800 postes. Des inégalités en plus, avec certaines classes surchargées ? En fait, la question des inégalités scolaires est plus vaste, et le tableau devrait faire honte à ceux qui ont gouverné la France depuis quarante ans.

En 1917, Lénine lance une campagne de démocratisation du savoir alors que le pays est plongé dans une guerre civile. Campagnes d'alphabétisation, ouverture de bibliothèques en milieu rural, réforme du système éducatif : dans les années 1920, rien n'échappe au chamboulement. En dépit de ses limites, l'expérience soviétique va inspirer bien des courants pédagogiques du XXe siècle.

Le système éducatif français figure toujours parmi les plus inégalitaires de l'OCDE. Avec les "cités éducatives", l'Etat entend faire suivre "un parcours d'excellence" aux enfants et aux jeunes des quartiers prioritaires, de la naissance jusqu'à 25 ans.

Dans "L'Ecole du gotha", Lucas Bretonnier, journaliste et ancien collaborateur de "Marianne", explore les entrailles de l'Ecole alsacienne, qui abrite nombre d'enfants de personnalités médiatiques et vecteur d'un séparatisme scolaire et social toléré.

Paul Pasquali est sociologue, chargé de recherche au CNRS. Après avoir publié "Passer les frontières sociales. Comment les 'filières d’élite' entrouvrent leurs portes" (2014, Fayard, réédité en poche cette année à La Découverte avec une postface inédite), il a commis en 2021 "Héritocratie. Les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite (1870-2020)" à La Découverte. Il s’agit du premier ouvrage de sociologie qui analyse l’évolution de toutes les grandes écoles en France.