Au zénith incandescent, un travelling avant vise une silhouette au-dessus du vide, accrochée à un arbre dénudé. L'arbre du pendu ? Que non ! Le survivant d'un accident d'avion, sauvé par les cordes de son parachute. A l'instant où ce garçon aux lunettes d'aviateur ouvre les yeux, un géant surgit et l'engloutit. Dans les entrailles, le tombé du ciel se libère de ses ficelles et fuit, poursuivi par le colosse. Cet incipit met en place les trois sujets de ce film d'animation : le voyageur confronté à un ennemi tenace, l'expérience de la chute et le regard signifiant.

"J'aime juste raconter des histoires". Cette simple phrase décrit sûrement ce qui caractérise le mieux Henry King, et la manière dont il a été perçu. Elle explique aussi en partie qu'aujourd'hui, il ne soit pas considéré comme un des plus grands cinéastes hollywoodiens, au même titre que Raoul Walsh (pour ne citer qu'une référence). On voit en lui un réalisateur commercial plutôt qu'un artiste : distinction inopérante dans le cinéma d'un pays comme les Etats-Unis où, bien plus qu'ailleurs, l'économie a formé les structures.

De Robert Mulligan on se souvient surtout d'une plage et d'un air de Michel Legrand. "Un été 42" reste le plus grand succès de ce cinéaste prolifique et discret. Sa carrière court pourtant de l'après-guerre aux années 1980. Il a abordé le mélodrame, la comédie sentimentale ou le western, traversé par l'âge d'or de la télévision américaine et le Nouvel Hollywood. Directeur d'acteur incomparable, découvreur de talents, il a fait tourner aussi bien Gregory Peck que Rock Hudson, Steve McQueen que Natalie Wood, Richard Gere ou encore Reese Witherspoon.

"Ne pas oublier le passé, mais s'en servir autrement: ne pas être adulte contre ou sans l'enfance mais avec elle, ne pas être seulement enfant ou adulte, mais s'approprier sa propre histoire" : ce programme, Pascal Kané l'énonçait au printemps 1976 en conclusion de son analyse de "La Cecilia" de Jean-Louis Comolli (Cahiers n° 265). Une éthique personnelle qui résume peut-être aujourd'hui le mieux l'itinéraire critique et cinématographique de son auteur, disparu le 31 août 2020 à l'âge de 74 ans.

Albert Dupontel nous a reçus à la fin de l'été sous les hauts plafonds d'un hôtel particulier en ruine. Moulures moyenâgeuses, immenses cheminées qui n'ont jamais été tirées, escaliers en colimaçon qui forment des labyrinthes... C'est ici, à quelques pas du parc Monceau, à Paris, que le cinéaste goupille depuis plusieurs années des films qui ne ressemblent à aucun autre. L'endroit est étonnant, à part, baroque, barré, magnifique... Au fil de la conversation, on s'aperçoit que ce vieil immeuble parisien un peu secret ressemble diablement à son hôte.

Le temps n'est plus où un critique reconnu comme Jean Douchet pouvait écrire dans les "Cahiers du cinéma", à propos de "L'Ange exterminateur" qu'il venait de voir au Festival de Cannes en 1962 : "Toutes les raisons du monde, et certainement les mieux venues, ne me convaincront jamais du talent de Buñuel." Le grand cinéaste espagnol a nourri des controverses dès ses premiers films surréalistes avec Salvador Dali, "Un chien andalou" et "L'Age d'or", mais son oeuvre ne cesse de susciter de nouvelles études et a su rallier les plus grands, de Fellini à Kubrick, de Resnais à Tarkovski.

François Truffaut fait partie de ces cinéastes méconnus à force de célébrité, parce que beaucoup de critiques et de cinéphiles croient si bien connaitre leurs films qu'ils ne pensent pas nécessaire de les revoir pour en parler, admirateurs comme détracteurs jugeant leurs évaluations définitives, chacun campant sur ses positions, a priori, idées reçues.

"Pieces of a Woman" est la première réalisation outre-Atlantique de Kornél Mundruczo. La virtuosité de l'intime qu'y déploie le réalisateur hongrois, que nous avions déjà rencontré en 2009 pour Delta (n.573, p.17) et en 2014 pour White God (n.646, p. 23), en fait un nouveau sommet de sa filmographie. Outre son talent de conteur qui n'est plus à démontrer, Mundruczo offre à la magnifique Vanessa Kirby un rôle enfin à sa mesure, récompensé de la coupe Volpi au festival de Venise 2020 (voir n.717, p. 31).

L'oeuvre tchèque de Milos Forman forme un corpus dont on ne cesse de redécouvrir les finesses et richesses. En mars 1997, Sylvie Rollet relevait ici même (n.433) la constante mise à distance des personnages opérée par une caméra ironique. En juillet-août 2016 (n.665-666), Eric Derobert percevait dans la série de comédies une contre-propagande sciemment laide et graveleuse, avant qu'en décembre 2018 (n.694) Yannick Lemarié ne mette en exergue leur teneur révolutionnaire. La ressortie des quatre films chez Carlotta dans un coffret Bluray inédit et...

Déferlement de troupeaux à la fuite éperdue, déferlement océanique qui dévore la terre, déferlement de la foule révolutionnaire qui ensevelit les totalitarismes : le cinéma de Pelechian est entièrement mû par une énergie aussi indomptable que destructrice.

Le cinéaste serbe Goran Paskaljevic s'est éteint à 73 ans, le 25 septembre 2020, à Paris, où il avait établi sa résidence depuis son exil au début des années 1990, à cause de la montée significative du nationalisme et de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie. Réalisateur européen discret mais très estimable, nommé et primé dans les festivals internationaux, il se trouve néanmoins un peu éclipsé par son compatriote Emir Kusturica, détenteur de deux Palmes d'or (en 1985 pour "Papa est en voyage d'affaires", puis dix ans plus tard pour "Underground").

La vague n'est plus nouvelle. Voilà longtemps qu'elle s'est disséminée sur les rochers : les aventures individuelles, puis la mort. Il importe peut-être plus, aujourd'hui, d'examiner l'originalité des cinéastes qu'elle a portés que d'envisager son apport collectif. Les deux metteurs en scène qui font l'objet de ces pages ont certes employé les mêmes acteurs et encouru le même reproche, plutôt futile : celui d'avoir trahi l'inspiration initiale du mouvement. Ils n'ont pas entrepris de remettre ostensiblement en cause à chaque instant tous les usages du cinéma narratif.