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Togo. 2005-2025, les années Faure

01 juillet 2025
Numéros de page :
pp.103-123
Faure Essozimna Gnassingbé, au pouvoir depuis vingt ans, a initié une profonde réforme institutionnelle au Togo, remplaçant le régime semi-présidentiel par un parlementarisme rare en Afrique francophone. Cette réforme, adoptée par l’Assemblée nationale le 19 avril 2024, a supprimé l’élection du président de la République au suffrage universel direct, conférant désormais un rôle essentiellement honorifique à ce dernier. Le pouvoir exécutif est concentré entre les mains du président du Conseil, désigné par le parti majoritaire à l’Assemblée, sans limitation de mandats. Faure Gnassingbé, désigné président du Conseil le 3 mai 2025 par l’Union pour la République (Unir), peut ainsi se maintenir à la tête du pays au-delà de 2030, alors que l’ancienne Constitution l’aurait empêché de se représenter en 2025. La méthode d’adoption de la nouvelle Constitution, sans référendum populaire mais par un vote parlementaire, a suscité de vives critiques, notamment de l’opposition et de la société civile, qui dénoncent l’absence de débat public et de consultation populaire. Le contexte institutionnel était également contesté : l’Assemblée nationale sortante a adopté la réforme alors que son mandat avait expiré le 31 décembre 2023, et les élections législatives n’ont eu lieu que le 29 avril 2024, dix jours après l’adoption de la nouvelle Loi fondamentale. Lors de ces élections, l’Unir a remporté 108 sièges sur 113 à l’Assemblée. Les premières sénatoriales de l’histoire du pays, organisées le 15 février 2024, ont vu l’élection de 41 sénateurs (dont 34 Unir) et la nomination de 20 autres par le chef de l’État, portant à 174 le nombre de membres du Parlement, dont 162 acquis à l’Unir. La réforme a été suivie d’une période de flottement institutionnel : la Première ministre Victoire Tomégah-Dogbé a démissionné le 2 mai 2025, la veille de l’élection du président de la République par le Congrès et de la désignation du président du Conseil. Le gouvernement démissionnaire a été maintenu pour gérer les affaires courantes, en attendant la nomination d’une nouvelle équipe, probablement après les élections municipales du 17 juillet 2025. Les ministres reçoivent désormais directement leurs instructions du président du Conseil, sans passer par un Premier ministre, supprimé dans la nouvelle architecture institutionnelle. La réforme a provoqué une mobilisation inédite de la jeunesse et de la société civile, notamment le 6 juin 2025, jour des 59 ans de Faure Gnassingbé, à l’appel d’activistes sur TikTok. Cette manifestation, réprimée par les forces de l’ordre, est la première depuis 2017 à ne pas être initiée par un acteur politique traditionnel. Elle s’inscrit dans un contexte de restrictions croissantes des libertés publiques : depuis 2017, les demandes d’autorisation de réunions publiques de l’opposition étaient systématiquement rejetées. Amnesty International a relevé des entraves à la liberté de réunion, comme l’interdiction d’un sit-in de la coalition d’opposition DMP le 25 avril 2024 pour vice de forme. La contestation s’est également nourrie de la hausse du coût de la vie : le 15 mai 2025, les tarifs de l’électricité ont augmenté de 12,5 % en moyenne, première révision depuis quatorze ans. Un prélèvement mensuel de 2 320 F CFA (3,54 euros) a été instauré pour les usagers de la CEET. La révélation que les membres du gouvernement ne payaient pas leurs factures d’eau et d’électricité a suscité l’indignation. Sur le plan économique, le Togo affiche une croissance supérieure à 5 % depuis plusieurs années. L’agence S&P a relevé la note souveraine du pays de B à B+ fin avril 2025. Selon la Banque mondiale, 25,8 % des Togolais vivent sous le seuil de pauvreté, contre 28,4 % en 2018 et plus de 60 % en 2007. Le dernier recensement (2021-2022) indique une population de plus de 8 millions d’habitants, en croissance de 2,3 % par an. L’accès à l’électricité a progressé à 59,2 % en 2023 (contre 45 % en 2018), et la desserte en eau potable à 69 % du territoire (contre 47,6 % en 2014). Le taux de pénétration mobile est de 78,2 % (7,53 millions d’abonnements) et celui d’internet de 37 % (3,56 millions d’utilisateurs). Malgré ces progrès, des défis persistent : le déficit en électricité, l’insuffisance de l’adduction d’eau potable, et le retard dans la réalisation de projets structurants comme le chemin de fer Lomé-hinterland ou l’autoroute de l’Unité (RN1). La lutte contre la corruption en col blanc est jugée timide, aucun haut dignitaire n’ayant été poursuivi pour infractions économiques malgré des cas d’enrichissement anormal. Le rythme de construction des infrastructures n’a pas suivi la croissance démographique. Sur le plan sécuritaire, la menace jihadiste dans le nord du pays, notamment dans la région des Savanes, a conduit à la prorogation de l’état d’urgence pour la troisième fois depuis juin 2022. Depuis la première attaque en novembre 2021, une dizaine d’incursions jihadistes ont été recensées, dont une attaque meurtrière en mai 2022 à Kpékpakandi (8 militaires tués, 13 blessés). Environ 2 000 hommes des FAT ont été déployés dans le cadre de l’opération Koundjoaré pour sécuriser les 120 km de frontière avec le Burkina Faso. Le budget de la défense nationale pour 2025 s’élève à environ 150 milliards de F CFA, soit plus de 6 % du budget de l’État. Les effectifs des FAT devraient passer de 17 770 en 2020 à plus de 22 000 fin 2025. Une loi de programmation militaire de 722 milliards de F CFA (plus de 1,1 milliard d’euros) a permis de renforcer les équipements. Un Conseil national de défense et de sécurité (CNDS) a été créé en janvier 2025, dirigé par le colonel Bakali Hèmou Badibawu, pour centraliser la coordination stratégique. Une loi sur la protection des secrets d’État a été adoptée pour encadrer la gestion des informations classifiées, suscitant des inquiétudes sur la liberté de la presse. Le Port autonome de Lomé (PAL) a connu une transformation majeure : il figure depuis 2021 dans le top 100 mondial des ports à conteneurs (93e en 2024, 5e en Afrique). En 2024, il a franchi la barre des 2 millions d’EVP (conteneurs équivalents vingt pieds), contre moins de 400 000 dix ans plus tôt. Le trafic de marchandises a dépassé 30 millions de tonnes en 2023, soit une hausse de 226 % en cinq ans. Le Lomé Container Terminal (LCT), inauguré en 2014 avec un investissement de 500 millions d’euros (TIL/MSC et China Merchants Port Holdings), a une capacité de 2,7 millions d’EVP par an. MSC a fait accoster en 2025 un navire de 24 000 EVP, record régional. Les échanges maritimes conteneurisés entre l’Asie et l’Afrique de l’Ouest ont augmenté de 33 % depuis 2022. Le port vise 3 millions d’EVP à l’horizon 2027-2028. L’État a porté sa participation à 30 % du capital de Togo Terminal (AGL/Bolloré racheté par MSC). La Chambre de commerce et d’industrie du Togo (CCI-Togo), présidée par Dr José Kwassi Symenouh, a engagé des réformes pour moderniser l’institution, soutenir le secteur privé, faciliter l’exportation (notamment vers la Chine), promouvoir le riz togolais, accompagner les femmes entrepreneures et structurer le secteur informel. La CCI-Togo œuvre à renforcer la compétitivité des entreprises, notamment dans le cadre de la ZLECAF, et à faciliter l’accès des jeunes et des femmes aux marchés publics (objectif de 25 % des marchés). Sur le plan financier, le ministre de l’Économie et des Finances, Essowè Georges Barcola, vise à réduire l’endettement intérieur de sept points, à 54,6 % du PIB d’ici 2026. En 2023, la dette publique totale était de 3 707 milliards de F CFA (5,65 milliards d’euros), dont 61 % de créances extérieures. La dette publique, après avoir atteint 68 % du PIB en 2023 et 69,2 % en 2024, devrait être ramenée à 62 % en 2028. Les recettes fiscales ont augmenté de 10,74 % entre 2023 et 2024, atteignant 1 098,07 milliards de F CFA. Le déficit budgétaire est passé de 6,7 % en 2023 à 4,9 % en 2024, avec un objectif de 3 % du PIB dès 2025. Le Togo bénéficie d’une Facilité élargie de crédit du FMI (390 millions de dollars sur trois ans), dont une nouvelle tranche de 58,4 millions de dollars a été débloquée en mai 2025. L’indice de développement humain (IDH) du Togo est de 0,539 (162e sur 191 pays), supérieur à la moyenne UEMOA (0,486). La population est estimée à 9,3 millions d’habitants, dont 45,3 % d’urbains et 58,8 % de moins de 25 ans. 25,2 % vivent sous le seuil international de pauvreté (moins de 2,15 dollars/jour). L’opposition, incarnée notamment par Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson (CDPA), dénonce une confiscation du pouvoir par l’Unir et la suppression de la limitation des mandats, estimant que le régime parlementaire instauré ne garantit ni contre-pouvoirs effectifs ni responsabilité politique réelle. Elle critique l’absence de transparence des élections législatives de 2024 et la concentration des pouvoirs entre les mains du président du Conseil, désigné par le parti majoritaire. Malgré la marginalisation institutionnelle, l’opposition entend poursuivre le combat pour l’alternance et la démocratie. Le Togo, à l’aube de sa Ve République, fait donc face à des défis institutionnels, sociaux, économiques et sécuritaires majeurs, dans un contexte de croissance soutenue mais de contestation politique et sociale persistante.