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Japon-Afrique. À la recherche du temps perdu

01 juillet 2025
Numéros de page :
pp.46-56
La neuvième édition de la Conférence de Tokyo sur le développement en Afrique (Ticad) se tiendra à Yokohama du 20 au 22 août 2025, marquant un retour au Japon après l’édition de Tunis en 2022. Depuis 2016, la Ticad alterne tous les trois ans entre l’Afrique et le Japon. La dernière édition à Yokohama, en 2019, avait été marquée par la volonté du Premier ministre Shinzo Abe d’accroître l’investissement du secteur privé japonais en Afrique et de soutenir une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, mais six ans plus tard, peu de progrès ont été réalisés sur ces fronts. La Ticad 8 de Tunis a été perturbée par la pandémie de Covid-19, avec l’absence du Premier ministre Fumio Kishida et de plusieurs chefs d’État africains, ce qui a limité la portée de l’événement. Malgré ces difficultés, l’engagement du Japon envers l’Afrique est resté constant. Fumio Kishida a annoncé pour la première fois un montant précis de 30 milliards de dollars à investir dans le développement du continent d’ici 2025. Le Japon privilégie désormais une coopération axée sur le capital humain, la santé et l’éducation, se positionnant en alternative au modèle chinois, plus centré sur les infrastructures lourdes. Tokyo insiste sur le respect des règles internationales, la bonne gouvernance et les principes démocratiques, contrairement à la Chine. L’initiative « Indo-Pacifique libre et ouvert » (FOIP), lancée en 2016, reste la pierre angulaire de la politique japonaise en Afrique, bien que son impact concret soit limité à quelques projets en Afrique australe. Le Japon cherche à limiter sa dépendance aux minerais stratégiques chinois et oriente sa coopération vers les pays africains fournisseurs de matières premières. En mars 2022, seuls 28 pays africains sur 54 ont voté en faveur de la résolution de l’ONU contre l’invasion russe en Ukraine, ce qui a incité Tokyo à renforcer ses liens avec l’Afrique pour éviter de futurs désaccords sur la scène internationale. Le Japon lutte contre le défaut de paiement des dettes souveraines africaines, soutient l’autonomie fiscale et a lancé en 2023 un cadre d’assistance maritime dans l’océan Indien, avec un premier projet à Djibouti pour la fourniture d’un système de surveillance côtière. Le gouvernement japonais multiplie les initiatives pour encourager l’investissement privé, notamment dans la transition énergétique, les secteurs innovants et le financement des start-up. Il favorise la formation en Afrique et l’accueil d’étudiants africains au Japon, tout en cherchant à améliorer la perception du risque des marchés africains par les entrepreneurs japonais. Depuis octobre 2024, Shigeru Ishiba a succédé à Fumio Kishida comme Premier ministre, mais la continuité des politiques est assurée par le maintien du même parti au pouvoir. La Ticad 9 mettra l’accent sur la jeunesse japonaise et africaine, avec le slogan « Tomoni Africa » (ensemble avec l’Afrique), et attend une participation plus nombreuse que les 43 chefs d’État présents en 2019. Un nouveau concept de « cocréation » sera présenté, visant à développer ensemble des solutions adaptées aux besoins africains. Plus de 250 événements annexes sont prévus, dont une A-Ticad (académique), une C-Ticad (culturelle) et une Y-Ticad (jeunesse). L’exposition universelle d’Osaka, ouverte en avril 2025 pour six mois, sera également l’occasion de renforcer la coopération, avec la participation de l’agence de développement japonaise (Jica) à la réalisation des pavillons africains. L’Agence japonaise de coopération internationale (Jica), présente en Afrique depuis plus de cinquante ans, joue un rôle clé dans la mise en œuvre de la coopération, en insistant sur l’appropriation locale et la cocréation. Shuhei Ueno, directeur adjoint pour l’Afrique, souligne l’importance de multiplier les passerelles entre les jeunesses africaine et japonaise, notamment par l’accueil d’étudiants africains et l’investissement des entreprises japonaises sur place. Il note que la perception du risque reste un frein pour les entreprises japonaises, malgré une augmentation lente mais continue de leur présence. Le conglomérat Mitsui & Co., fort de 16 divisions commerciales, renforce sa présence en Afrique avec une stratégie multisectorielle couvrant les minéraux, l’énergie, l’agriculture, la santé, la distribution et les infrastructures. Mitsui collabore avec ETG, qui travaille avec plus d’un million d’agriculteurs africains, pour promouvoir l’agriculture intelligente, l’égalité des sexes et le reboisement. Le plan de gestion à moyen terme 2026 (MTMP2026) de Mitsui, intitulé « Creating Sustainable Futures », vise à combiner rentabilité et création de valeur sociale, en s’appuyant sur l’innovation, l’inclusion et la résilience institutionnelle. Selon le dernier sondage de l’Organisation japonaise du commerce extérieur (Jetro), le nombre d’entreprises japonaises en Afrique reste inférieur à 950, réparties dans une vingtaine de pays, contre plus de 3 000 pour la Chine et près de 2 500 pour la France. 223 entreprises japonaises ont répondu à l’enquête 2024, dont plus de 80 % sont des filiales ou succursales de grands groupes, et la moitié sont présentes depuis au moins 2010. Près de 60 % des entreprises interrogées annoncent des résultats bénéficiaires en 2024, contre moins de 50 % en 2021, et plus de la moitié s’attendent à améliorer leurs marges en 2025, notamment au Maroc, en Égypte, au Ghana, au Nigeria et au Kenya. 51 % des entreprises prévoient d’étendre leurs activités, 42 % d’embaucher davantage localement et 23 % de s’approvisionner plus directement sur le continent. Les secteurs jugés les plus porteurs sont les énergies renouvelables (solaire, hydrogène), l’alimentaire et les infrastructures électriques. Toutefois, 74 % des entreprises estiment que les procédures administratives sont trop complexes et 80 % craignent l’instabilité politique et sociale, surtout au Nigeria, au Kenya et en Afrique du Sud, qui restent néanmoins les destinations préférées des Japonais, suivies par la Côte d’Ivoire (5e en 2024) et la RD Congo (10e). L’Éthiopie, autrefois 4e, est tombée à la 9e place. La Tunisie, qui a accueilli la Ticad 8 en 2022, célèbre en 2025 le 50e anniversaire de son partenariat avec le Japon, initié en 1956. Lors de la Ticad 8, 92 projets d’une valeur totale de 2,7 milliards de dollars ont été signés, avec la perspective de créer près de 36 000 emplois. La Tunisie a conclu six accords bilatéraux, dont un prêt de 100 millions de dollars pour la protection sociale et la formation, ainsi que des projets dans l’énergie photovoltaïque, le traitement des eaux usées et le dessalement de l’eau de mer. Le pays accueille 22 entreprises japonaises, générant près de 10 000 emplois, dont Mitsubishi et Sumimoto, ainsi que des entreprises spécialisées comme Ovice (intelligence artificielle). Malgré une mise en œuvre jugée complexe des partenariats public-privé, la Tunisie reste une destination attractive pour le secteur privé japonais. Enfin, Africa Business Partners (ABP), cabinet de conseil basé à Tokyo et présent dans sept pays africains, accompagne les entreprises japonaises et africaines dans leur développement sur le continent, en insistant sur l’importance d’une stratégie adaptée et d’une compréhension culturelle approfondie. Les secteurs les plus prometteurs pour la collaboration Afrique-Japon sont l’automobile, les machines, les équipements, les produits chimiques, les matériaux, l’agriculture, l’énergie, la santé, la construction, les TIC et les start-ups technologiques.