L' |Économie mondiale à l'épreuve de la politique commerciale américaine
Bulletin : Futuribles juillet août 2025
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Numéros de page :
pp.100-104
La concrétisation des intentions d’achat en faveur des produits français est freinée par leur minorité dans de nombreux secteurs, leur prix souvent plus élevé et leur moindre notoriété. Même en cas de boycott des marques américaines, celles-ci pourraient être remplacées par des alternatives chinoises plutôt que françaises. Après les annonces de Donald Trump, les sites d’e-commerce chinois ont subi des annulations massives de commandes aux États-Unis, qu’ils tentent de compenser par une croissance des ventes en Europe. Les politiques publiques de réindustrialisation pourraient redynamiser l’offre locale, et les taxes douanières pourraient rendre les produits français plus compétitifs que les importations. Cependant, cela nécessiterait une refonte du rapport des Français à l’industrie, en valorisant davantage les services et l’immatériel.
L’arrivée au pouvoir de Donald Trump a inauguré une période d’incertitude économique et politique. Après avoir annoncé un relèvement généralisé des tarifs douaniers, Trump a suspendu temporairement l’application de ces tarifs réciproques, alors que les marchés boursiers chutaient et que l’inquiétude grandissait chez les acteurs économiques et politiques. Les négociations bilatérales se poursuivent, mais l’évolution de la politique américaine reste incertaine à court terme.
Antoine Bouët, directeur du CEPII, souligne de nombreuses erreurs d’analyse économique dans la politique commerciale américaine, notamment la vision selon laquelle un déficit bilatéral est systématiquement une perte pour les États-Unis. Il rappelle que les États-Unis accumulent des déficits extérieurs en biens en raison d’une faible épargne, d’une forte consommation des ménages et d’un déficit public important, et non à cause de pratiques déloyales de leurs partenaires. Les États-Unis bénéficient d’un excédent dans les services et la balance des revenus, un aspect ignoré par l’administration Trump.
Parmi les mesures tarifaires, 10 % de droits de douane sont imposés sur tous les biens importés de tous les pays, avec des « tarifs réciproques » individualisés : 34 % pour la Chine, 20 % pour l’Union européenne, et entre 40 % et 50 % pour des pays comme le Lesotho ou Madagascar. L’objectif affiché est de réduire les importations américaines de chaque pays pour résorber le déficit bilatéral, une stratégie jugée inefficace par Bouët. Il précise que la hausse des tarifs douaniers est répercutée quasi intégralement sur les prix de vente intérieurs, affectant ménages et entreprises américaines.
Les droits de douane élevés sur la Chine s’inscrivent dans une volonté de découplage économique, amorcée dès 2018-2019. La part des importations américaines de produits manufacturés chinois est passée de 22-23 % à 13 %. Cependant, ce découplage a entraîné une recomposition des flux commerciaux via des pays « connecteurs » comme le Viêt-nam, la Malaisie, l’Indonésie ou le Mexique, où les produits chinois sont assemblés ou transitent avant d’être exportés vers les États-Unis. Les entreprises chinoises ont aussi accru leurs investissements directs dans ces pays. Aujourd’hui, les nouveaux droits de douane visent également ces pays connecteurs, mais des stratégies de contournement pourraient se reproduire, bien que l’incertitude sur la politique américaine soit maximale, notamment à l’approche de la fin de la pause de trois mois des tarifs réciproques, prévue le 9 juillet 2025.
À moyen et long termes, la Chine devrait concentrer son commerce extérieur en Asie, notamment en Asie du Sud-Est, pour établir un réseau régional de partenaires commerciaux plus stables. L’Union européenne, de son côté, cherche à définir une stratégie de représailles contre les États-Unis, envisageant de rediscuter l’accord Mercosur et de confirmer le CETA avec le Canada, tout en cherchant de nouveaux accords avec des partenaires comme l’Inde ou l’Indonésie. On pourrait assister à des stratégies d’évitement des États-Unis par leurs partenaires commerciaux, menant à un isolement durable des États-Unis, perçus comme moins fiables, notamment en Afrique et en Amérique du Sud.
Depuis le 20 janvier 2025, les mesures américaines vont à l’encontre du multilatéralisme, avec des tarifs discriminatoires contraires aux règles de l’OMC et la remise en cause de concessions commerciales anciennes. Si certains estiment que le multilatéralisme est mort, Bouët pense qu’un « système commercial plurilatéral » pourrait émerger sans les États-Unis, comme l’illustrent déjà des accords entre une trentaine de pays, dont l’Union européenne et la Chine, pour remplacer l’Organe de règlement des différends de l’OMC, sans la participation américaine.
Concernant la place du dollar dans le système monétaire et financier international, Bouët estime qu’il est possible de reconstruire un système autour de plusieurs monnaies, notamment l’euro et le renminbi, pour les transactions internationales et les réserves financières. Toutefois, la transition sera progressive, car il n’existe pas encore suffisamment d’euros ou de renminbis pour remplacer le dollar dans les échanges mondiaux. Cela nécessiterait des déficits commerciaux plus importants en Europe et en Chine, ainsi que des réformes des marchés de capitaux et du crédit en Europe. L’importance du dollar dans les investissements financiers diminuera progressivement, au profit de l’euro et du renminbi, dans un système multipolaire.