Voilà déjà trois ans que la guerre sévit en Ukraine, et plus de 10 ans que l'offensive de Moscou sur le sol ukrainien a été enclenchée- avec l'annexion de la Crimée en 2014. Cette "opération spéciale" (ainsi qualifiée par le Kremlin) lancée en février 2022 aurait déjà fait entre 180 000 et 240 000 morts parmi les soldats russes, auxquels s'ajouteraient plus de 500 000 blessés graves, selon les estimations occidentales. Dans un pays déjà très affaibli sur le plan démographique, dont l'économie est sous le coup de sanctions internationales, comment la société appréhende-t-elle la situation ? Et surtout, comment prendre le pouls de cette société russe dont la liberté d'expression est notablement entravée par le régime autoritaire en place ? Joris Van Bladel se penche ici sur les enquêtes d'opinion permettant de sonder la société russe : il montre que malgré la possible autocensure des répondants, l'examen de ces enquêtes au fil du temps fournit de précieuses indications. Notamment, le soutien affiché au régime de Vladimir Poutine ne doit pas être confondu avec une adhésion profonde; les réponses directes ou indirectes, croisées avec les tendances observées sur des sujets d'enquête plus classiques, donnent en effet à voir une société sous tension, résignée, prudente et fragmentée ; une société russe qui commence à se lasser. Les études d'opinion menées en Russie servent ainsi moins à prédire les positions de la société russe qu'à souligner ses fragilités, son imprévisibilité et, par-là, son basculement possible sous l'effet de futurs événements chocs. Selon Joris Van Bladel, avoir conscience de ce caractère imprévisible est un atout important pour les observateurs extérieurs, qui leur permettra de ne pas être totalement surpris par la façon dont la société russe pourrait se comporter à moyen terme.