L’agrivoltaïsme, piste d’avenir pour l’agriculture ?
Bulletin : Le| Nouvel économiste 13 juin 2025
13 juin 2025
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pp.17-19
Depuis les accords de Paris, la France vise à sortir progressivement des énergies fossiles, qui représentent encore près des deux tiers de la consommation énergétique nationale. L’électricité, bien que fortement décarbonée grâce au nucléaire, ne constitue qu’environ 40 % de l’énergie finale consommée. Avec l’électrification croissante des usages (mobilité, industrie, chauffage), la demande d’électricité devrait augmenter de 50 %, même si la consommation énergétique totale pourrait baisser de 30 %, selon Olivier Dauger (FNSEA). Pour répondre à ces enjeux, la diversification du mix énergétique est nécessaire, incluant le nucléaire, l’éolien et le photovoltaïque. Cependant, le potentiel d’installation de panneaux photovoltaïques sur toitures ou friches industrielles reste limité et coûteux, d’où l’intérêt croissant pour l’agrivoltaïsme, qui consiste à combiner agriculture et production d’électricité solaire sur une même parcelle.
L’agrivoltaïsme, défini pour la première fois par l’article 54 de la loi du 10 mars 2023 (loi Aper), désigne une installation de production d’électricité solaire dont les modules sont situés sur une parcelle agricole et contribuent durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole. Cette technologie promet de protéger les cultures contre les aléas climatiques (sécheresse, grêle), de générer de l’électricité décarbonée et d’optimiser l’usage des terres, répondant ainsi à une double exigence de souveraineté énergétique et alimentaire.
Une proposition de loi, en cours de discussion, vise à clarifier le cadre légal de l’agrivoltaïsme autour de trois volets : la taille des projets (en mégawatts-crête, MWc), l’organisation du partage de la valeur créée entre les acteurs, et l’adaptation des projets aux réalités agricoles locales, avec l’implication des chambres d’agriculture. Les choix technologiques, le pourcentage de couverture par panneaux et la surface concernée sont départementalisés pour s’adapter aux spécificités locales : dans le sud de la France, la couverture peut aller jusqu’à 35-40 %, tandis qu’elle ne doit pas dépasser 25-30 % dans le nord.
La loi prévoit de limiter la puissance des projets à 10 MWc pour être reconnus comme agrivoltaïques, seuil jugé trop bas par certains acteurs, qui recommandent un minimum de 30 MWc pour garantir la rentabilité et un partage équitable de la valeur. Des projets de taille moyenne, couvrant 25 à 30 hectares pour 15 à 20 MWc, sont considérés comme favorisant une répartition plus équitable des bénéfices au sein d’un territoire. Le partage de la valeur implique une pluralité d’acteurs : développeurs, propriétaires fonciers, exploitants agricoles et collectivités locales. Les développeurs versent des loyers aux propriétaires et exploitants, mais la loi Aper impose le maintien d’une activité agricole pour éviter la spéculation et garantir l’accès des jeunes agriculteurs à la terre.
Le projet Terr’Arbouts, dans les Landes, illustre la démarche collective de l’agrivoltaïsme : 35 exploitations agricoles sur 1 200 hectares, avec 46 îlots agricoles couvrant 700 hectares, une mise en service prévue pour 2027, et un système de loyers et d’indemnités assurant un partage équitable des revenus. Ce projet accompagne la transition vers le “zéro phyto” (élimination des phytosanitaires), la protection de la qualité de l’eau potable et la diversification agricole, tout en générant plusieurs centaines d’emplois directs et indirects sur une quarantaine d’années.
Le cadre réglementaire impose deux conditions strictes pour préserver la vocation agricole des terres : la production agricole doit rester significative (le rendement par hectare doit être supérieur à 90 % de la moyenne observée sur une zone témoin ou un référentiel local) et le revenu issu de la production agricole après installation ne doit pas être inférieur à la moyenne des revenus avant l’installation. Les premiers retours d’expérience montrent que l’ombre créée par les panneaux photovoltaïques réduit le stress hydrique des plantes, limite l’évapotranspiration et peut améliorer les rendements, comme l’a démontré un projet expérimental sur le sarrasin.
Selon un baromètre Sun’Agri et Ipsos début 2025, 75 % des agriculteurs placent la rentabilité des exploitations en tête de leurs préoccupations, suivie par les risques climatiques et les problèmes d’accès à l’eau (52 %), tandis que 42 % citent les contraintes réglementaires comme source d’inquiétude, proportions similaires chez les Français non agriculteurs.
L’instruction ministérielle du 18 février 2025 a précisé l’application du cadre juridique, notamment sur le calcul du taux d’occupation surfacique, la superficie non exploitable et la définition de la production agricole significative. Un dispositif de contrôle et de sanction prévoit des rapports réguliers à la mise en service et six ans après, des visites inopinées par les préfets durant les six premières années, et la réversibilité des installations (démantèlement et remise en état au terme de la durée d’autorisation, soit 40 ans maximum, prorogeable de 10 ans si le rendement reste significatif). En cas de non-démantèlement, l’État peut intervenir d’office et répercuter les surcoûts sur le propriétaire.
REDEN, acteur historique du secteur, exploite plus de 300 hectares de serres (environ 110 structures) et a mené la première expérimentation agrivoltaïque en élevage bovin en France dès 2020. L’entreprise finance infrastructures et équipements pour les agriculteurs, qui bénéficient d’un revenu complémentaire et d’un accompagnement sur mesure. REDEN mise sur des projets coconstruits, adaptés aux réalités agricoles, et sur la pédagogie auprès des agriculteurs et institutions. L’objectif est de démontrer que l’agrivoltaïsme sécurise les revenus, finance des équipements agricoles, participe à la transition énergétique et génère une électricité compétitive tout en répondant aux enjeux climatiques.
L’avenir de l’agrivoltaïsme dépendra de l’équilibre entre besoins agricoles, innovation énergétique et ancrage local, avec l’espoir de voir émerger de nouvelles filières et activités liées à cette innovation.