Bénin. Dernière ligne droite
Bulletin : Jeune Afrique juin 2025
01 juin 2025
Numéros de page :
pp.95-138
À dix mois de la fin du second et dernier mandat de Patrice Talon, le Bénin a connu d’importantes réformes politiques, économiques et sociales. Talon, âgé de 67 ans, a réaffirmé qu’il ne briguera pas de troisième mandat et ne modifiera pas la Constitution, se distinguant ainsi dans un contexte régional marqué par des prolongations de mandats et des coups d’État. Son bilan économique et social est salué, notamment pour la transformation du paysage politique et institutionnel, la modernisation des infrastructures et la croissance économique.
Depuis 2016, la production agricole a presque doublé. La filière coton, première source de devises, est passée de 266 000 tonnes en 2016 à une moyenne annuelle de 641 000 tonnes, faisant du Bénin le premier producteur africain. Le coton est désormais transformé localement à Glo-Djigbé (GDIZ), tout comme la noix de cajou et l’ananas, qui ont gagné en rendement et en valeur ajoutée. Cependant, la gouvernance politique reste marquée par des tensions, l’emprisonnement de figures de l’opposition comme Reckya Madougou et Joël Aïvo, et des crises postélectorales.
La fin du mandat de Talon est assombrie par la montée des attaques jihadistes dans le nord, notamment dans l’Atakora et l’Alibori, avec des incursions meurtrières venues du Burkina Faso. Depuis début 2025, ces attaques ont causé des pertes inédites : le 8 janvier, 28 militaires tués près de Banikoara ; le 17 avril, 54 morts dans le parc du W. Depuis 2019, une centaine de membres des forces de défense et de sécurité ont péri dans des affrontements avec les jihadistes. L’opération Mirador, lancée en 2021, a renforcé la présence militaire, mais la coopération avec le Burkina Faso et le Niger reste difficile, limitant l’efficacité de la riposte.
Sur le plan politique, la condamnation à 20 ans de prison d’Olivier Boko, ex-bras droit de Talon, pour « complot contre l’autorité de l’État » en janvier 2025, a bouleversé la majorité présidentielle et freiné les ambitions de certains cadres. La réforme du code électoral en mars 2024 a durci les conditions de participation à la présidentielle : seules les formations ayant obtenu au moins 20 % des suffrages (contre 10 % auparavant) peuvent prétendre à un siège à l’Assemblée, et le minimum de parrains requis pour la présidentielle passe de 10 à 15 % des députés et maires, dans au moins 3/5 des circonscriptions. Les élus ne peuvent parrainer que le candidat choisi par leur parti.
La succession de Talon est ouverte, avec plusieurs figures en lice : Romuald Wadagni (ministre de l’Économie et des Finances, 48 ans), Luc Atrokpo (maire de Cotonou), Joseph Djogbénou (président de l’Union progressiste le Renouveau, UPR, 53 députés sur 109 et 736 élus municipaux sur 1815), et des cadres du Bloc républicain (BR, 28 députés). Le choix du dauphin divise la majorité, certains prônant un processus démocratique interne, d’autres souhaitant une désignation par le président sortant. La réforme du système partisan de 2018 limite fortement les candidatures indépendantes.
Dans l’opposition, Les Démocrates (LD), dirigés par l’ex-président Boni Yayi, sont le seul parti d’opposition à pouvoir réunir le nombre de parrainages requis pour la présidentielle de 2026, avec 28 sièges sur 109 à l’Assemblée. Le parti tente de fédérer l’opposition, mais fait face à des divisions internes et à la concurrence d’autres formations comme les Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE) et Restaurer l’espoir. LD doit désigner un candidat capable de rassembler, mais aucune figure consensuelle ne s’impose à dix mois du scrutin. Kemi Seba, activiste panafricaniste, a manifesté son intérêt pour l’investiture, mais son profil divise. Les FCBE, presque hors course pour la présidentielle, visent au moins 30 % des suffrages aux législatives et communales, seuil nécessaire pour accéder au partage des sièges.
Boni Yayi, après avoir été bloqué chez lui en 2019, a opté pour une stratégie de dialogue avec le pouvoir, obtenant la libération de plusieurs militants, mais sans obtenir la libération des principaux opposants. Il a repris la tête de LD en octobre 2023 pour renforcer la cohésion du parti. LD doit impérativement conserver l’unité de ses 28 députés pour présenter un duo président/vice-président, condition imposée par la réforme électorale.
Sur le plan économique, la Banque Internationale pour l’Industrie et le Commerce (BIIC), issue de la fusion entre BIBE et BAIC en 2020, a levé près de 100 milliards de F CFA via une OPV en 2025, cédant 33 % de son capital. Entre 2021 et 2024, le produit net bancaire a progressé de 62 % par an, le résultat net passant de 5,7 à 27,27 milliards de F CFA (+117 % par an). La BIIC détient 22 % de part de marché, un bilan de 1 437,7 milliards de F CFA au 30 septembre 2024, et un coefficient d’exploitation réduit à 30 %. Elle mise sur la digitalisation, l’inclusion financière, le financement des PME, des jeunes et des femmes, et l’accompagnement de projets à fort impact social.
Le secteur numérique a connu une forte accélération : en 2024, l’écosystème tech a attiré 50 millions de dollars d’investissement en capital-risque, mais concentré sur une seule entreprise, Spiro. Le taux de pénétration de la téléphonie mobile atteint 125,8 % (18,25 millions d’abonnements), celui de l’internet mobile 80,7 % (11,7 millions d’abonnements), mais l’internet fixe reste marginal (0,23 %). L’administration a digitalisé de nombreux services publics, et le Bénin s’est doté d’une stratégie pour l’intelligence artificielle, visant 4,68 milliards de F CFA d’investissement d’ici 2027. Le secteur privé reste à structurer, avec des difficultés d’accès au financement pour 57 % des start-up interrogées.
Le Port autonome de Cotonou (PAC), qui fête ses 60 ans, poursuit un vaste programme de modernisation de 690 millions d’euros, avec l’appui du Port of Antwerp International. Les « douze grands travaux » incluent l’extension des terminaux, la création d’une zone logistique spéciale de 50 hectares (Africa Logistics Zone), et la modernisation des quais pour accueillir de plus gros navires. En 2022, le port avait atteint 12 millions de tonnes de trafic et près de 600 000 conteneurs, mais a vu son activité décliner d’un quart à cause des tensions avec le Niger et l’instauration de droits douaniers avec le Nigeria. Le pipeline Niger-Bénin, long de près de 2 000 km (1 298 km au Niger, 684 km au Bénin), a permis d’exporter 17 775 700 barils de pétrole brut entre mi-mai 2024 et mi-avril 2025, générant pour le Bénin des droits de transit de 0,50 dollar par baril (environ 18 millions de dollars par an).
Le secteur hôtelier s’est renforcé avec l’ouverture du Sofitel Marina Hotel & Spa (198 chambres, cinq restaurants, 465 employés), qui a permis d’accueillir de grands événements internationaux et d’attirer d’autres enseignes comme Hilton et Banyan Tree. L’État a investi plus de 3 milliards d’euros dans le tourisme en huit ans, visant 2 millions de touristes par an d’ici 2032. En janvier 2025, le festival Vodun Days a attiré 430 000 participants.
La Société de Gestion des Déchets et de la Salubrité (SGDS SA), créée en 2018, a traité en 2024 plus de 421 000 tonnes de déchets, nettoyé 978 millions de m² de voies et espaces publics, curé 2,3 millions de mètres linéaires de caniveaux, et généré plus de 7 800 emplois directs, principalement pour les jeunes et les femmes.
Enfin, la scène culturelle est marquée par l’émergence d’artistes comme Bobo Wê, 27 ans, créateur du « gangan trap », qui fusionne percussions traditionnelles et musique urbaine, et qui a été doublement récompensé aux Titanium Music Awards en 2021.
En 2025, le Bénin affiche un PIB de 22,24 milliards de dollars, une croissance de 6,5 %, une inflation de 1,2 %, une dette publique de 54 % du PIB, et un taux de pauvreté de 36,2 %. L’indice de développement humain est de 0,525 (166e rang mondial), 57 % de la population a accès à l’électricité (43,7 % en milieu rural), et 79,4 % à l’eau potable en milieu rural. La population est de 13,7 millions d’habitants, dont 61 % ont moins de 25 ans.