Si le titre n'avait été déjà pris par Mallarmé, "Colportage" aurait tout aussi bien pu s'intituler "Divagations". « Errer çà et là», dit le Littré, en l'occurence chez Joubert, Mandiargues, Ponge, Saint-Pol-Roux, Caillois... Errer en littérature ; d'un auteur à un autre. Ce n'est pas pour rien qu'est évoqué le « à sauts et à gambades » de Montaigne, c'est-à-dire, précise Macé, faire place à « l'association d'idées, aux rapprochements plus ou moins lointains dans l'espace et dans le temps, au rythme intérieur qui dicte celui de la phranse et prouve la marche en marchant ».

Vingt-trois ans après la parution d’un « Autour de Jacques Rancière » ("Critique", n° 601-602, juin-juillet 1997), les textes rassemblés dans ce numéro – coordonné par Dork Zabunyan – témoignent de l’actualité d’une démarche en même temps que de la continuité d’une oeuvre qui, depuis "La Leçon d’Althusser" (Gallimard, 1975), "La Nuit des prolétaires" (Fayard, 1981) ou "Le Maître ignorant" (Fayard, 1987), et plus clairement encore depuis "La Chair des mots" (Gallimard, 1998), "Le Partage du sensible" (La Fabrique, 2000) et la vingtaine d’essais et de recueils qui ont suivi, diffuse bien au-delà

Les années 2019 et 2020 auront été celles d'un grand nombre de publications (essais, collectifs, revues) consacrées à Aragon (1897-1982), qui n'ont pu avoir l'écho qu'elles méritaient en raison de la crise que nous traversons.

Philippe Jaccottet est mort le 24 février 2021 à Grignan. Il allait faire publier trois ouvrages, qui représentent les trois potentialités de son écriture : la poésie, la note, la critique. Sommaire. "Mon grand âge m'interdit de plus en plus les grandes phrases". Trois publications en chant d'adieu.

Quatorze ans après la disparition de Gracq, Bernhild Boie publie avec la collaboration de Bertrand Fillaudeau un nouveau recueil qui a survécu au sceau de l'interdit des autres fragments, jusqu'en 2027.

La traduction a longtemps été définie comme un art – mineur. Récemment tirée de son statut ancillaire, elle a été ceinte d’une double auréole épistémologique et éthique, avec pour mission de réunir une humanité séparée depuis Babel. Cette irénique euphorie est vite retombée et le mot « passeur » est passé de mode. Mais l’intérêt porté à la traduction est plus vif que jamais. Car ses enjeux sont non seulement linguistiques, littéraires ou philosophiques, mais politiques, économiques, géostratégiques.

L’oeuvre de Raymond Roussel, telles ces étoiles qui exerçaient sur lui une fascination si profonde, continue longtemps après la disparition de son auteur de répandre sa lumière. Car il y a, sans aucun doute, un effet Roussel. Mieux même, une forme d’envoûtement. Il faut dire que celui que Michel Leiris appelait « Roussel l’ingénu », brisant tous les codes, renversant tous les poncifs, rompant avec toutes les routines de l’écriture, aura été l’auteur de quelques-unes des pages les plus énigmatiques, de quelques-unes des images les plus stupéfiantes qui aient jamais été conçues. Sommaire.

"Ulysse" de Joyce a cent ans. Ce roman hors normes a paru en volume le 2 février 1922, grâce aux bons soins d’une éditrice vaillante sinon téméraire, Sylvia Beach, à l’enseigne de Shakespeare and Company, au 12 rue de l’Odéon, à Paris. Les premiers exemplaires de "Ulysses", ouvrage de langue anglaise (et quel anglais !) à la couverture bleue, au titre en grandes lettres blanches - bleu et blanc pour évoquer les couleurs de la Grèce -, composés, imprimés et façonnés à Dijon par Maurice Darantiere, arrivèrent à Paris en gare de Lyon, par le train express de 7 heures.

En aura-t-on jamais fini de découvrir La Fontaine ? Il n’y a peut-être pas de figure plus familière au sein de notre littérature. Tout le monde le cite, tout le monde a en tête une fable au moins. Et pourtant, La Fontaine a quelque chose d’un Protée qui échappe à nos prises. Ce numéro d’"Europe" se veut un instantané de la recherche actuelle, dans ses renouvellements et les perspectives qu’elle ouvre pour restituer le poète en son contexte et le lire dans notre temps.

L’oeuvre de Michel Deguy, récemment disparu, est un retour sur la Fable : une poétique des reliques, au coeur de laquelle on trouve une dialectique de fidélité et de trahison. Toutes les archives des croyances perdues sont traduites dans la fragilité du poème.

C’est paradoxalement que les postérités s’établissent parfois. Celle de Georges Bataille (1897-1962), plus qu’aucune autre. De cette œuvre dont on avait parlé si peu, lui vivant, il y avait peu de chances que l’on parlât davantage, lui mort. Il faut dire qu’il semble s’être plu à semer le trouble chez ses lecteurs, lui qui affirmait : « Je dirai volontiers que ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir brouillé les cartes. » Insaisissable Bataille.

Avec lucidité et acuité, le poète et critique Jean-Luc Steinmetz questionne la possibilité qu’aurait encore la poésie de dire notre monde actuel. Pour Jean-Luc Steinmetz, la poésie ne protège pas, elle expose. D’où sa fragilité, sa précarité, sa foncière résistance… et sa grande liberté. Comme le souligne Henri Scepi dans ce cahier : « À la fixité rassurante le poète préfère le mouvement qui délivre, à la stabilité des réponses le vertige des questions, aux arts de vivre l’air de vie — c’est-à-dire la quête de l’ouvert, qui oblige à se replacer au milieu des choses. » Sommaire.