Pic pétrolier : où en est-on ?
Bulletin : Futuribles juillet août 2025
01 juillet 2025
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pp.78-85
Depuis les années 1950, la question du pic pétrolier divise géologues et économistes, opposant l’idée d’un plafonnement de la production suivi d’un déclin (théorie de Hubbert, 1956) à celle d’une adaptation continue grâce à l’exploration, au progrès technique et à l’ajustement par les prix. Hubbert avait prédit un pic de production pétrolière aux États-Unis vers le milieu des années 1970, ce qui s’est confirmé avec un premier pic en 1970, suivi d’un déclin ralenti par la mise en exploitation de nouveaux gisements (Alaska, mer du Nord, golfe du Mexique, golfe de Guinée), rendus accessibles par la hausse des prix et les innovations technologiques (sismique 3D, forages profonds, multidirectionnels).
Le débat s’est enrichi en 1973 avec le diagramme de McKelvey, qui distingue les réserves prouvées (économiquement exploitables au prix du moment) des ressources potentielles (conditionnelles, hypothétiques, possibles), montrant que les réserves exploitables peuvent être reconstituées par l’exploration et le progrès technique, dans la limite d’un potentiel physique fini. Les économistes considèrent que l’ajustement par les prix assure la régulation de l’offre et de la demande, tandis que les géologues insistent sur les contraintes physiques.
Sur les 40 dernières années, les réserves mondiales de pétrole ont été multipliées par 2,5, passant de 682 milliards de barils (Gbl) en 1980 à 1 301 Gbl en 2000, puis 1 732 Gbl en 2020. Cette augmentation s’explique par l’entrée en production de nouvelles provinces pétrolières et, plus récemment, par le développement des hydrocarbures non conventionnels (pétrole et gaz de schiste). Aux États-Unis, après le pic de 1970, la production a décliné puis s’est stabilisée grâce à l’Alaska et au golfe du Mexique. À partir de 2008, la production de pétrole de schiste, rendue possible par la fracturation hydraulique, a permis une remontée spectaculaire : en 2015, la production américaine a atteint 12 millions de barils par jour (Mbj), égalant celle de l’Arabie Saoudite et de la Russie, et atteignant 19 Mbj en 2023, soit 2,7 fois le niveau de 2008.
L’essor des hydrocarbures non conventionnels a bouleversé les marchés mondiaux, faisant des États-Unis un fournisseur majeur pour l’Europe, tandis que la Russie réoriente ses exportations vers l’Asie et la Chine. Cependant, la déplétion des gisements non conventionnels est plus rapide que celle des conventionnels, mais un second pic de production n’est pas encore en vue, même après 20 ans d’exploitation aux États-Unis. Les ressources non conventionnelles sont également importantes dans d’autres régions du monde, y compris en Europe.
La question de la demande future reste une inconnue majeure, dépendant de l’ambition et de la mise en œuvre effective des politiques climatiques. Les projections varient fortement selon qu’elles sont « réalistes » ou « volontaristes » en matière de réduction des consommations d’énergie fossile. Selon les scénarios centraux de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les politiques actuelles devraient conduire à un plateau de la consommation de pétrole autour de 2030. Les incertitudes portent sur la substitution du gaz au pétrole, l’électrification des usages et le développement du véhicule électrique. Selon l’AIE, l’évolution de la demande de pétrole pourrait varier jusqu’à 2,8 millions de barils par jour d’ici 2035, le facteur le plus influent étant le taux d’adoption des véhicules électriques.
Deux scénarios principaux se dessinent pour l’avenir : dans le premier, un pic de demande serait atteint grâce à la combinaison des politiques climatiques et du progrès technique, pouvant aller jusqu’à un effondrement de la consommation si l’objectif de neutralité carbone était approché. Dans ce cas, les pays producteurs pourraient soit maintenir des prix élevés en réduisant leur production, soit chercher à écouler rapidement leurs stocks tant que le pétrole a de la valeur, mais cette dernière hypothèse semble peu probable. Dans le second scénario, une demande mondiale soutenue, notamment dans les pays du Sud, pourrait entraîner des tensions entre offre et demande, mais un pic de production dû à des contraintes physiques paraît peu probable étant donné l’importance des ressources mondiales. Ce scénario impliquerait une forte instabilité des prix et la mobilisation de ressources fossiles coûteuses, accentuant l’instabilité économique et géopolitique.
L’incertitude géopolitique demeure extrême, et pour les pays importateurs, en particulier l’Europe, la sobriété énergétique apparaît comme la meilleure garantie de souveraineté économique.