Grande distribution ou fournisseurs, qui doit absorber les droits de douane ?
Bulletin : Le| Nouvel économiste 06 juin 2025
06 juin 2025
Numéros de page :
p.7
Walmart, lors de la présentation de ses résultats financiers le 15 mai, a averti que la hausse des droits de douane imposés par Donald Trump sur presque toutes les importations entraînera une augmentation des prix. Deux jours plus tard, Trump a suggéré que Walmart et la Chine devraient absorber ces droits de douane. Amazon a également indiqué que les prix pourraient augmenter à cause de ces taxes, tandis que Costco et Home Depot n’envisagent pas d’absorber ces coûts, préférant maintenir leurs marges d’exploitation, ce qui signifie que les fournisseurs supporteront une grande partie du coût.
Les investisseurs privilégient les grands distributeurs, dont les actions se négocient à des multiples de bénéfices futurs très élevés : Home Depot est à égalité avec Meta, Walmart dépasse Microsoft et Nvidia, Costco affiche un multiple presque deux fois supérieur à celui d’Apple, et Amazon talonne Walmart. Malgré la perspective de hausses de prix, ce ne sont pas les consommateurs qui en subissent les conséquences, mais les fournisseurs.
Les distributeurs dictent de plus en plus leurs conditions, non seulement aux fournisseurs anonymes de produits de base, mais aussi à des marques puissantes comme Nike ou Nestlé. Bien que leurs marges d’exploitation soient à un chiffre et représentent à peine plus de la moitié de celles de leurs fournisseurs, la part de bénéfices qu’ils tirent des plus de 5 000 milliards de dollars dépensés chaque année par les consommateurs américains en produits physiques est en augmentation.
En 2023, les dépenses de consommation hors voitures et essence s’élevaient à 5 000 milliards de dollars, avec une marge d’exploitation globale du secteur de 7,2 %, soit 360 milliards de dollars de bénéfices pour le commerce de détail. Les fournisseurs, qui récupèrent environ 90 % du prix des marchandises, totalisent 3 200 milliards de dollars de ventes, avec une marge d’exploitation moyenne de 12,6 %, soit un bénéfice légèrement supérieur à 400 milliards de dollars. Les fabricants accaparent donc un peu plus de la moitié des bénéfices combinés des deux groupes, mais cette part est en baisse par rapport aux trois cinquièmes de la fin des années 2010. Une analyse de Bernstein montre que, sur les quinze dernières années, la part de bénéfices des distributeurs dans les produits alimentaires, d’hygiène et ménagers est passée de 34 % à 38 %. Depuis 2015, les actions des distributeurs ont surpassé celles des fabricants de biens de consommation.
L’influence croissante des distributeurs s’explique par une concurrence accrue. Les marques établies subissent la pression de marques émergentes, qui externalisent leur production et vendent via des plateformes comme TikTok, ainsi que celle des marques propres des distributeurs, qui ne se limitent plus aux produits à faible marge. Par exemple, Best Buy vend des réfrigérateurs haut de gamme de sa propre marque à 1 699 dollars, Wayfair propose des canapés à 7 800 dollars, et Sam’s Club vend une bague de fiançailles en diamant de cinq carats à 144 999 dollars.
Malgré la diversité des produits, les options de lieux d’achat se réduisent. Le secteur américain de la distribution, bien que fragmenté, se consolide rapidement : entre 1990 et 2020, la part des ventes alimentaires détenue par les quatre plus grands détaillants a plus que doublé pour atteindre environ 35 %. La tentative de fusion à 25 milliards de dollars entre Kroger et Albertsons a été bloquée par un tribunal fédéral, mais les fournisseurs restent dépendants des grands distributeurs, notamment Walmart, qui représente un quart des dépenses alimentaires des Américains. Des entreprises comme Nestlé, PepsiCo et Unilever ont installé des bureaux près du siège de Walmart à Bentonville, Arkansas.
En 2021, lors de la pandémie de Covid-19, les entreprises de biens de consommation ont vu leurs marges augmenter grâce à la hausse des dépenses des consommateurs confinés, soutenus par les chèques de relance. Aujourd’hui, la confiance des consommateurs est au plus bas et les nouveaux droits de douane de Trump vont entrer en vigueur. Si les consommateurs cherchent à se consoler par des achats, ce sera chez Amazon, Costco et Walmart. Les distributeurs continuent ainsi de renforcer leur pouvoir face aux fournisseurs, même dans un contexte économique incertain.