La consommation d’alcool est en déclin depuis plusieurs décennies, avec une accélération récente qui inquiète les investisseurs du secteur. Aux États-Unis, premier marché mondial, la consommation d’alcool par personne a chuté de 3 % en 2024, soit la plus forte baisse depuis la prohibition, atteignant son niveau le plus bas depuis 1962, en recul de 20 % par rapport au pic des années 1980. L’Organisation mondiale de la santé a recommandé en février 2025 l’apposition d’étiquettes d’avertissement sur les boissons alcoolisées pour informer du lien avec le cancer, mesure que l’Irlande appliquera en mai 2026. Aux États-Unis, des recommandations similaires du “surgeon general” ont également été émises. La baisse de la consommation, la prise de conscience des risques sanitaires et l’impact des médicaments amaigrissants (GLP-1, tels que Wegovy et Ozempic) sur les habitudes de consommation d’alcool alimentent un climat négatif autour de l’industrie. Les actions mondiales du secteur des boissons ont chuté de près de 8 % entre février 2024 et février 2025, se négociant désormais avec une décote importante par rapport aux autres biens de consommation. Le ratio cours/bénéfice des producteurs de spiritueux est passé de 30 pendant la pandémie à 16, contre un ratio stable de 10 pour l’industrie du tabac. Les entreprises du secteur ont publié des résultats semestriels décevants en février 2025, avec des ventes américaines stagnantes. L’instauration de nouveaux droits de douane par le président Donald Trump, visant notamment le whisky canadien et la tequila mexicaine, a aggravé la situation. Diageo, leader mondial des spiritueux, a revu à la baisse ses objectifs de croissance, invoquant l’incertitude liée aux droits de douane et la faiblesse de la demande. Sa directrice générale, Debra Crew, identifie la modération comme le principal facteur de perturbation du secteur, tout en voyant dans les boissons faibles ou sans alcool une opportunité majeure. Les médicaments GLP-1, utilisés contre l’obésité et le diabète, pourraient réduire de moitié l’abus d’opioïdes et d’alcool, et pourraient à terme être utilisés pour traiter l’alcoolisme. Terry Smith, gestionnaire de fonds, a vendu la participation de son fonds dans Diageo après 15 ans, citant l’impact potentiel de ces médicaments sur la demande. Le secteur fait face à une “incertitude structurelle”, accentuée par la baisse de la consommation chez les jeunes. Selon Gallup, la proportion de 18-34 ans ayant consommé de l’alcool la semaine précédant le sondage est passée de 49 % en 2001 à 38 % en 2023. Les réseaux sociaux incitent les jeunes à adopter un mode de vie plus sain et à limiter leur consommation d’alcool, notamment en raison de l’impact sur la prise de poids. Toutefois, des analystes comme Laurence Whyatt (Barclays) notent que la génération Z consacre une part similaire ou supérieure de ses revenus à l’alcool par rapport aux générations précédentes, suggérant que la baisse des dépenses est liée à des revenus plus faibles et pourrait augmenter avec l’âge. Les dirigeants du secteur estiment que la baisse actuelle est principalement due à des facteurs économiques, notamment la forte inflation depuis 2021, qui a freiné les dépenses des ménages américains. Les consommateurs puisent dans les stocks accumulés pendant la pandémie, période durant laquelle la consommation d’alcool avait atteint un niveau “extraordinaire”. Le secteur reconnaît cependant une tendance de fond à la modération, surtout chez les jeunes, et investit dans les boissons sans alcool ou à faible teneur en alcool pour fidéliser les consommateurs abstinents. Contrairement à l’industrie du tabac, qui a longtemps dissimulé la nocivité de ses produits, le secteur des boissons alcoolisées affirme s’engager auprès des régulateurs pour promouvoir une consommation responsable. Selon Roseanna Ivory (Aberdeen), l’alcool ne connaîtra pas le même destin que le tabac, car sa dangerosité est connue de longue date. Les dirigeants voient dans la modération une opportunité de croissance, misant sur l’innovation et l’adaptation de leur offre pour répondre à l’évolution des attentes des consommateurs.