Le |Télétravail tue-t-il vraiment la culture d’entreprise ?
Bulletin : Le| Nouvel économiste 25 juillet 2025
Numéros de page :
p.11
Dara Khosrowshahi, PDG d’Uber, a imposé à ses salariés un minimum de trois jours de présence au bureau par semaine, affirmant que l’enjeu dépasse la productivité et concerne la création d’une culture d’entreprise adaptée à la croissance future. Amazon, sous la direction d’Andy Jassy, a également demandé à ses employés de revenir à cinq jours de travail en présentiel, estimant que la collaboration et l’échange d’idées sont facilités par la co-présence. Les dirigeants s’inquiètent à juste titre de la culture d’entreprise, car des études montrent que les valeurs et normes internes influencent l’innovation, la rentabilité et les rendements boursiers.
Cependant, l’obligation de revenir au bureau ne garantit pas une meilleure culture d’entreprise. Une étude menée auprès de 61 000 employés de Microsoft a révélé qu’au premier semestre 2020, le télétravail a rendu l’entreprise plus “cloisonnée” et moins “dynamique”, compliquant notamment l’intégration des nouveaux arrivants. Malgré cela, la quasi-totalité des salariés préfèrent conserver une part de télétravail. Selon Mark Ma de l’université de Pittsburgh, les entreprises ayant imposé un retour au bureau après la pandémie ont constaté une baisse de la satisfaction au travail et une hausse du turn-over, sans amélioration des performances.
L’analyse de deux bases de données — celle de CultureX, qui évalue la culture d’environ 900 entreprises selon neuf critères à partir de commentaires sur Glassdoor, et celle du Flex Index de Work Forward, qui classe les politiques de télétravail — montre que les entreprises exigeant cinq jours de présence obtiennent de meilleures notes en “agilité”, c’est-à-dire la capacité à anticiper et réagir rapidement aux changements du marché. Selon Charlie Sull de CultureX, la présence au bureau permet de recevoir l’information plus vite et de s’adapter plus facilement.
En revanche, ces entreprises obtiennent de moins bons résultats sur d’autres critères : soutien perçu par les employés, qualité du leadership, niveau de toxicité (mesure de la tolérance aux comportements irrespectueux), équité et équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Pour les critères d’innovation, de stratégie et de transparence, les politiques de télétravail n’ont pas d’impact significatif sur les notes.
Certaines entreprises très performantes en agilité, comme Nvidia, SpaceX et Tesla, compensent l’exigence de présence par des salaires élevés, de grandes opportunités de carrière et d’autres avantages, mais au détriment de l’équilibre vie professionnelle-vie privée, qui y est jugé très mauvais.
Plus de cinq ans après le début de la pandémie, les entreprises cherchent encore le bon équilibre entre présentiel et télétravail. Le ralentissement du marché du travail renforce le pouvoir des employeurs, qui pourraient être tentés d’imposer davantage de présence au bureau pour renforcer la culture d’entreprise. Toutefois, les données montrent que cette stratégie, si elle favorise l’agilité, se fait au prix d’une baisse de la satisfaction des employés, d’une augmentation du turn-over et sans gain de performance mesurable.