Directive CSRD : un coup de frein et de nombreuses zones de flou
Bulletin : LSA 19 juin 2025
19 juin 2025
Numéros de page :
pp.18-20
La Commission européenne a adopté le 26 février une disposition législative, dite dispositif Omnibus, qui révise en profondeur plusieurs lois RSE, dont la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), applicable à partir de 2025. Ce dispositif permet de modifier ou de suspendre plusieurs directives ou règlements en une seule procédure. Pour les entreprises de la première vague de la CSRD (celles cotées, de plus de 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros), aucune modification majeure n’est prévue : elles devront remettre leur premier reporting cette année. En revanche, les entreprises des deuxième et troisième vagues bénéficient d’un délai supplémentaire de deux ans, soit une entrée en vigueur en 2028 pour celles de plus de 250 salariés et en 2029 pour les PME.
Le dispositif Omnibus relève les seuils d’application de la CSRD : seules les entreprises de plus de 1 000 salariés (contre 250 initialement) ou générant un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions d’euros (contre 50 millions initialement) seront soumises à l’obligation de reporting. Le nombre d’entreprises concernées passerait ainsi de 50 000 à 10 000, soit une baisse de 80 %. Le nombre d’indicateurs de performance durable, initialement supérieur à 1 000 (dont deux tiers qualitatifs et un tiers quantitatifs), sera significativement réduit, mais le chiffre exact n’est pas encore fixé. L’obligation d’audit externe des rapports extrafinanciers est abandonnée pour les entreprises soumises à la CSRD. Les exigences de diligence raisonnable dans la chaîne d’approvisionnement sont également revues à la baisse, limitant la responsabilité des entreprises à leurs fournisseurs directs uniquement.
Ces modifications sont justifiées par une volonté de simplification réglementaire pour préserver la compétitivité des entreprises européennes, mais elles suscitent des critiques de la part de ceux qui estiment qu’un encadrement réglementaire plus fort des enjeux environnementaux est nécessaire et urgent. Le Mouvement Impact France, qui regroupe 30 000 entrepreneurs et dirigeants, a exprimé ses inquiétudes face à ce retour en arrière, tout en reconnaissant la nécessité d’aménagements pragmatiques de la directive.
Malgré ce coup de frein, de nombreuses entreprises maintiennent leur engagement envers la CSRD. Les entreprises de la première vague, déjà mobilisées via la Non Financial Reporting Directive (NFRD), ont investi d’importants moyens humains et financiers pour se conformer à la CSRD et poursuivent leurs efforts. Par exemple, Bonduelle publiera son rapport de durabilité 2024-2025 en octobre 2025, après avoir commencé la préparation dès octobre 2023. Ecotone (Bjorg, Alter Eco, Bonneterre) a débuté la rédaction de son rapport en septembre 2024, après avoir défini sa double matérialité et réalisé une analyse d’écart. Biocoop, malgré le report de deux ans, continue de préparer son reporting selon le calendrier initial, ayant identifié 58 impacts, risques et opportunités, et présélectionné 200 indicateurs de performance durable, qui seront probablement revus à la baisse.
Pour les entreprises de la seconde vague et les PME, Omnibus offre un délai supplémentaire de deux ans pour se préparer, ce qui est jugé nécessaire car beaucoup n’ont jamais produit de rapport RSE et sont loin des exigences de la CSRD. Les grandes entreprises sont déjà familiarisées avec les reportings extrafinanciers, alors que les PME disposent de moins de ressources et de capacités d’investissement.
Des incertitudes subsistent, notamment sur le nombre définitif d’indicateurs de performance durable, qui pourrait être divisé par cinq par rapport aux 1 178 initialement prévus, selon les secteurs d’activité. Le coût et l’harmonisation des audits de conformité des reportings constituent une autre zone de flou. Selon une étude du C3D de juin 2024, menée auprès de 85 représentants de grands groupes français concernés par la CSRD dès 2024 et 2025, 57 % jugent les coûts externes d’accompagnement très élevés et disparates : pour 53 % des sondés, ces coûts se situent entre 50 000 et 200 000 euros, et pour 19 %, ils dépassent 200 000 euros. Le coût des audits de conformité est jugé important mais reste flou, d’autant qu’Omnibus remet en cause l’harmonisation européenne des audits, ouvrant la voie à des écarts de prestations et de facturation selon les pays.
Malgré ces incertitudes, les entreprises engagées dans la CSRD espèrent que les critères de comparabilité voulus par la directive seront préservés. La CSRD est perçue comme un levier de résilience et de performance à long terme, favorisant la valorisation et la comparabilité des performances environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Les objectifs fondamentaux de la CSRD en matière de développement durable restent au cœur des préoccupations, la directive étant vue comme essentielle pour la transparence, la comparabilité des performances, des impacts, des risques et des opportunités de durabilité des entreprises. La viabilité financière à long terme des entreprises et, par extension, de la société, est considérée comme en jeu.