Dossier Infrastructures et connectivité
Bulletin : Jeune Afrique juillet 2025
01 juillet 2025
Numéros de page :
pp.91-102
En Afrique, les besoins de financement en infrastructures s’élèvent entre 130 et 170 milliards de dollars par an, alors que les investissements effectifs atteignent seulement 80 milliards de dollars, générant un déficit annuel pouvant aller jusqu’à 90 milliards de dollars. Ce manque d’investissement impacte le développement et la compétitivité du continent, où les coûts logistiques figurent parmi les plus élevés au monde. La population africaine pourrait croître d’un milliard d’individus d’ici 2050, accentuant la pression sur des infrastructures déjà saturées et soulignant l’urgence d’une transformation profonde des modes de circulation des biens et des personnes.
De nombreux projets d’interconnexion ambitieux, tels que l’Initiative Atlantique lancée en 2023 par Mohammed VI, visent à connecter les pays du Sahel au littoral atlantique et à créer un cadre institutionnel regroupant 23 États africains atlantiques. Le Maroc propose de mettre à disposition ses infrastructures routières, portuaires et ferroviaires, avec l’adhésion de pays comme le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. Une task force d’experts de ces quatre pays s’est réunie en juin 2024 à Rabat pour discuter d’un corridor ferroviaire de 5 000 km reliant Niamey, Ouagadougou et Bamako, avec une extension de 800 km vers Nouakchott et le port Dakhla-Atlantique. Le projet inclut aussi le renforcement des réseaux d’infrastructures et la création de zones d’activités économiques. Cependant, ces initiatives restent à l’état d’intention, leur coût étant jugé très élevé pour des pays déjà confrontés à de multiples crises.
D’autres projets majeurs, comme le barrage Grand-Inga en RDC (80 milliards de dollars) ou le port El-Hamdania en Algérie (plus de 5 milliards de dollars), n’ont pas encore abouti. Le Policy Center for the New South souligne l’écart entre ambitions et réalisations, recommandant de cibler un nombre limité de domaines avec des échéanciers et objectifs précis.
Les interconnexions énergétiques sont également prioritaires, à l’image du gazoduc Nigeria-Maroc, long de près de 6 000 km et estimé à 25 milliards de dollars, destiné à relier 13 pays et à acheminer le gaz nigérian vers l’Europe. Le financement reste en discussion, avec des promesses des Émirats arabes unis, de la BEI, de la BID et du Fonds de l’Opep. Le projet concurrent, le gazoduc transsaharien algérien (TSGP), estimé à 13 milliards de dollars, est freiné par des tensions diplomatiques et des défis sécuritaires et financiers.
Entre 2004 et 2022, la Banque africaine de développement (BAD) a financé pour 13,5 milliards de dollars la construction de 25 corridors de transport, des ponts et des milliers de kilomètres de routes. Malgré cela, les grands projets de corridors, comme l’autoroute Abidjan-Lagos (15,6 milliards de dollars, annoncée en 2014), peinent à démarrer.
La question du financement de ces infrastructures est aussi liée à des enjeux de souveraineté, notamment face à l’influence croissante de la Chine. Selon l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), la Chine a signé des protocoles d’accord avec 52 gouvernements africains, représentant plus de 120 milliards de dollars investis dans des infrastructures. Plus de 80 % des mines de cuivre en Zambie et en RDC sont détenues par des intérêts chinois. Cette présence chinoise, qui concerne 231 ports commerciaux africains (contre 10 en Amérique latine et 24 en Asie), s’inscrit dans une bataille géopolitique pour l’accès aux ressources minérales stratégiques, notamment pour la transition énergétique.
Au Maroc, le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) connaît une forte dynamique, stimulée par les grands chantiers liés à la Coupe d’Afrique des nations 2025 et à la Coupe du monde 2030. Les deux géants marocains, SGTM et TGCC, ont remporté le marché de construction du Grand stade Hassan-II à Benslimane, d’une capacité de 115 000 places, pour 3,4 milliards de dirhams (323 millions d’euros). SGTM, fondée en 1971, a vu son chiffre d’affaires passer de moins de 400 millions à plus de 700 millions d’euros en cinq ans. TGCC, créée en 1991, a atteint près de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023 et détenait en 2024 un carnet de commandes de 10,3 milliards de dirhams (près de 1 milliard d’euros). TGCC a acquis 60 % de la Société de travaux agricoles marocains (Stam), qui réalise plus de 4 milliards de dirhams de chiffre d’affaires annuel, renforçant ainsi sa présence au Maroc et en Afrique subsaharienne. Les deux groupes s’exportent sur le continent, avec des filiales et des contrats au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Gabon, en Guinée et même en Arabie saoudite.
Le secteur du coworking se développe également en Afrique, porté par des acteurs comme AfricaWorks, Wojo et Kofisi. En 2024, AfricaWorks a lancé une offre de coliving d’affaires à Dakar et compte 20 espaces de coworking dans 8 villes africaines, pour 2 500 membres sur 25 000 m², avec un chiffre d’affaires de 8,2 millions de dollars en 2023 et une croissance à trois chiffres. Kofisi, présent au Kenya, à Casablanca, Lagos, Dar es-Salaam et Kigali, propose des bureaux opérés sur mesure, avec 70 % de clients issus de grands groupes comme Google, Amazon et Bolt. Malgré cette croissance, le coworking reste marginal, représentant moins de 1 % des espaces de bureaux commerciaux en Afrique, contre 10 à 15 % dans des villes comme New York ou Berlin.
En République démocratique du Congo, le projet d’approfondissement et d’élargissement du chenal du fleuve Congo vise à porter la profondeur de 18 pieds (5,5 m) à 26-33 pieds, permettant l’accès de navires de gros tonnage aux ports de Matadi et Boma, réduisant les coûts logistiques et renforçant l’indépendance économique du pays. Matadi Gateway Terminal (MGT), filiale du groupe ICTSI, a étendu son quai de 350 à 500 mètres et agrandi son parc à conteneurs à 10,5 hectares. Un projet de route de 2,65 km, dont 906 mètres en construction et 1 746 mètres réhabilités, doit relier le terminal au rond-point Kinkanda. Depuis 2016, MGT investit dans la formation de son personnel et s’engage dans des actions de responsabilité sociétale, notamment dans l’éducation, la santé et l’accès à l’eau potable.
Entre 2018 et 2023, l’Afrique a enregistré une progression de 20 % des escales de porte-conteneurs dans ses ports, la plus forte hausse mondiale, due aux perturbations en mer Rouge, à la croissance de la consommation intérieure et à l’essor du commerce de pétrole et de produits en vrac. En 2022, Tanger Med a traité 8,8 millions d’EVP, suivi par l’Égypte (1,6 million), l’Afrique du Sud (1,5 million), le Togo (1,5 million), l’Algérie (1,2 million), le Nigeria, le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Ghana et la République du Congo. Selon la Cnuced, 35 % du commerce africain avec le reste du monde passe par Tanger Med, relié à une quarantaine de ports africains. Les investissements dans les terminaux à conteneurs, notamment en Afrique de l’Ouest, sont soutenus par la croissance démographique et l’essor de la classe moyenne, mais la souveraineté des États doit être préservée face à la forte présence chinoise dans le secteur portuaire africain.