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Cameroun. Du bois à l'or, enquête sur les dessous d'un système opaque

01 juillet 2025
Numéros de page :
pp.32-37
En 2016, le Cameroun adopte un nouveau code minier imposant une participation nationale d’au moins 35 % dans les entreprises du secteur. La société Codias SA, dirigée par Bonaventure Mvondo Assam, fils du frère du président Paul Biya, obtient en 2017 le permis d’exploitation du site aurifère de Colomine après une longue bataille judiciaire. En novembre 2019, Codias SA signe avec le ministère des Mines une convention visant à produire 500 kg d’or la première année et à créer 2 000 emplois directs et indirects. Cependant, selon un rapport du ministère des Mines publié en mars dernier, Codias SA n’emploie qu’un peu plus de 90 personnes et n’a pas atteint ses objectifs de production. Malgré la volonté affichée de « camerouniser » le secteur, des opérateurs chinois continuent d’exploiter l’or, souvent sans respecter les réglementations et normes environnementales. Plusieurs sociétés chinoises, telles que Tian Xiang SARL, Superland Sasu et Fenghua Mining SARL, détiennent des permis à proximité de Colomine. Des entreprises camerounaises, comme Xplor-Tech (fondée par Emmanuel Mbiam, ex-député du RDPC) et Jerun & Cie (dirigée par Samira Issa, épouse de Bonaventure Mvondo Assam), exploitent également des sites voisins, mais font face à des incursions chinoises. Des proches du pouvoir, notamment Ghislain Samou Nguewo et Christian Mataga (fils de l’ancien directeur du cabinet civil de Paul Biya et proches de Franck Biya, fils du président), ont tenté sans succès de déstabiliser Codias SA. Les rivalités personnelles et politiques autour de l’or rappellent celles qui ont longtemps existé dans le secteur du bois, où Franck Biya et Christian Mataga ont contrôlé des sociétés comme Ingénierie forestière et la Société commerciale industrielle et forestière, accusées de coupes illégales. Bonaventure Mvondo Assam a également fondé la Compagnie forestière Assam (Cofa) et Codias SA est active dans le bois. Le secteur forestier est marqué par un système où des sociétés camerounaises concèdent l’exploitation à des acteurs asiatiques, souvent couverts par des personnalités politiques ou militaires dont les noms n’apparaissent pas dans les registres officiels. Une « vraie liste » des barons du bois circulerait, comprenant des figures comme Roger Nkodo Dang (député RDPC), Grégoire Mba Mba (sénateur du Sud, dirigeant de MMG SARL), et Jules Doret Ndongo (ministre des Forêts et de la Faune depuis 2018). Ce dernier fait l’objet d’une inspection du Contrôle supérieur de l’État, notamment pour comprendre les écarts entre les déclarations d’exportations camerounaises et les importations déclarées par certains pays asiatiques. Entre 2013 et 2018, le Vietnam a déclaré avoir importé 883 millions de dollars de bois du Cameroun, alors que Yaoundé n’a reconnu que 476 millions de dollars d’exportations vers ce pays, révélant un écart de 407 millions de dollars susceptible de masquer un commerce illégal. Le bois camerounais est vendu à des prix très inférieurs à ceux du marché international : par exemple, 1 mètre cube d’iroko scié se vend jusqu’à 3 000 euros en France, contre une valeur fixée à 220 euros à Yaoundé pour le même volume en grume. Le rapport de prix est similaire ou supérieur pour le tali, très prisé en Asie. Les prix FOB (free on board) fixés par le ministère des Forêts servent de base au calcul des taxes, mais restent très en deçà des prix internationaux, entraînant un manque à gagner important pour l’État. Le système d’exportation repose sur des déclarations différées : une société camerounaise déclare une exportation une année, paie la taxe un ou deux ans plus tard, mais peut avoir fermé entre-temps, rendant le recouvrement difficile. Quelques patrons camerounais ont été poursuivis, mais les condamnations restent rares. Le ministre Jules Doret Ndongo a dénoncé en 2021 le manque à gagner pour l’État, mais la volonté politique de réformer le secteur est mise en doute. En octobre 2024, une réunion prévue avec le département de la Justice américain pour appliquer le Lacey Act (loi interdisant la vente de bois issu d’un commerce illégal) a été annulée pour des raisons administratives et n’a pas été reprogrammée. Le secteur aurifère reproduit les pratiques du secteur forestier, avec des sociétés camerounaises servant de façade à des intérêts asiatiques, des réseaux de prédation impliquant des personnalités politiques, et un manque à gagner fiscal important pour l’État, tant dans l’or que dans le bois.