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Le Boom du réarmement

04 juillet 2025
Numéros de page :
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Pour la première fois depuis des décennies, les pays riches s’engagent dans un réarmement massif, motivés par les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient, la menace d’un conflit autour de Taïwan et l’incertitude liée à la politique étrangère américaine. Le 25 juin, les membres de l’Otan ont fixé un nouvel objectif de dépenses militaires à 3,5 % du PIB, avec 1,5 % supplémentaire pour la sécurité, à l’exception de l’Espagne qui a obtenu une dérogation. Si cet objectif est atteint en 2035, les pays de l’Otan dépenseront chaque année 800 milliards de dollars de plus, en termes réels, qu’avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ce mouvement dépasse l’Otan : Israël a consacré plus de 8 % de son PIB à la défense l’an dernier, et le Japon prévoit également d’augmenter ses dépenses. L’augmentation des budgets de défense aura un impact majeur sur l’économie mondiale, en alourdissant les finances publiques et en modifiant l’activité économique. Les responsables politiques mettent en avant les bénéfices économiques du réarmement, promettant des emplois de qualité et des retombées positives pour tous les pays, mais ces arguments sont jugés erronés. Les dettes publiques sont déjà élevées, et les pressions financières s’accentuent en raison du vieillissement de la population et de la hausse des taux d’intérêt. Les membres de l’Otan, hors États-Unis, devront augmenter leurs dépenses de défense de 1,5 % du PIB, ce qui entraînera des réductions dans d’autres postes budgétaires, notamment les dépenses sociales, et réduira les “dividendes” de la paix obtenus après la guerre froide. Il sera politiquement difficile de réduire les dépenses ou d’augmenter les impôts à la hauteur nécessaire, ce qui conduira de nombreux gouvernements à creuser leur déficit. Les dépenses de défense devraient ainsi faire monter les taux d’intérêt et fragiliser les finances publiques, même si elles renforcent la sécurité. Sur le plan de la croissance, les dépenses de défense financées par le déficit pourraient offrir une relance budgétaire keynésienne, mais celle-ci serait modeste et malvenue dans un contexte de faible chômage et d’inflation persistante dans les pays riches. Les dépenses militaires sont coûteuses et n’améliorent pas directement le niveau de vie. En revanche, la recherche et le développement (R&D) dans la défense pourraient avoir des effets positifs : une hausse des dépenses R&D de 1 % de la valeur ajoutée du secteur entraîne une croissance annuelle de productivité de 8,3 %, selon une estimation récente. Des innovations majeures comme l’internet ou l’énergie nucléaire proviennent de la recherche militaire. Les dépenses d’armement modifieront la demande dans l’économie, mais il est peu probable qu’elles compensent la désindustrialisation. La production de défense est aujourd’hui très spécialisée et automatisée, ce qui limite la création d’emplois. L’augmentation des dépenses de défense dans les pays européens membres de l’Otan pourrait créer 500 000 emplois, un chiffre faible comparé aux 30 millions de travailleurs du secteur manufacturier dans l’UE. La guerre moderne, illustrée par l’Ukraine, montre que la fabrication de drones, principale cause de pertes sur le champ de bataille, est relativement simple et que l’intelligence artificielle réduit encore le besoin de main-d’œuvre, au profit des entreprises technologiques. L’augmentation des budgets de défense obligera les gouvernements à arbitrer entre sécurité, efficacité et équité. Les pressions locales, syndicales et industrielles pour obtenir une part des dépenses risquent d’entraîner du gaspillage, comme le montre la production de 12 types de chars de combat différents dans l’UE contre un seul aux États-Unis, ce qui nuit à l’efficacité et à l’interopérabilité. Les gouvernements doivent donc dépenser de façon efficace pour garantir la sécurité sans alourdir inutilement la fiscalité ou réduire les dépenses sociales. Pour réussir le réarmement, il faudra présenter aux électeurs des arguments honnêtes sur les dépenses de sécurité et éviter de disperser les efforts budgétaires, sous peine de nuire à la croissance et à la sécurité.