Spécial Innovation. Plongée dans les centres R&D des marques
Bulletin : LSA 26 juin 2025
26 juin 2025
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pp.40-73
Decathlon, leader des enseignes multisports, a inauguré en 2010 le Btwin Village à Lille, un centre de conception dédié à la mobilité, couvrant 180 000 m² et employant 2 500 collaborateurs, dont 400 spécialisés dans la mobilité et 185 dans l’usine d’assemblage de vélos attenante de 11 000 m². L’activité vélo représente 14 % du chiffre d’affaires du groupe en 2024. Le site, ouvert partiellement au public, comprend un magasin de 3 000 m² dédié à la mobilité, un espace restauration, une piste de VTT, un skate park et un hôtel. Decathlon vise à ce que 100 % de ses produits sportifs et techniques bénéficient d’une démarche d’éco-conception d’ici 2026. Le centre travaille sur tous les univers du vélo (VTT, vélos urbains, enfants, cargos, course) et renouvelle 20 à 30 % de son offre chaque année. L’innovation est structurée autour d’équipes pluridisciplinaires et s’appuie sur un laboratoire central d’essais mécaniques et électroniques de 2 000 m², où 35 personnes réalisent 80 tests par vélo pour l’homologation. Depuis 2018, Decathlon a développé une gamme de vélos cargos, avec un premier modèle longtail lancé en mars 2022 (objectif initial de 2 000 ventes, dépassé par quatre), un modèle à chargement avant (Cargo Front f900e) lancé en juillet 2024, et un troisième modèle prévu pour 2026. Les ventes de vélos cargos dépassent désormais 10 000 unités. Le processus d’innovation, du concept à la commercialisation, dure de 18 à 60 mois. En 2024, près de 80 projets ont été accompagnés, et 700 brevets ont été déposés depuis la création de Decathlon, dont 36 en 2024. Le Sportslab, intégré depuis trois ans, regroupe 40 chercheurs (dont 15 doctorants) et dispose de quatre chambres climatiques pour étudier la performance des produits et la physiologie des sportifs, en collaboration avec des athlètes de haut niveau.
À Saclay, Danone a ouvert en 2023 le centre de recherche et d’innovation Daniel-Carasso, opérationnel depuis 2024, après un investissement de 100 millions d’euros. Le bâtiment de 21 500 m², construit selon des standards exigeants de réduction de l’empreinte carbone, accueille 550 collaborateurs de 40 nationalités. Il comprend des laboratoires ultramodernes, une halle technologique de 3 500 m², une bibliothèque de 1 900 souches de ferments, et une usine pilote avec 7 lignes de conditionnement. Les recherches portent sur la fermentation, le microbiote intestinal, l’enrichissement en fer, la réduction de l’empreinte carbone et la digitalisation de la R&D. Le centre collabore avec d’autres sites Danone, notamment Utrecht, et s’inscrit dans une logique d’innovation ouverte avec des institutions publiques et des start-ups. Un espace de 450 m² est dédié aux études consommateurs, et un Café by Danone de 160 m², ouvert au public, favorise la connexion avec le campus scientifique voisin. Danone vise à concilier progrès scientifique, nutrition et transition écologique.
À Obernai, le site des Brasseries Kronenbourg, filiale de Carlsberg, produit près de 6 millions d’hectolitres de bière par an, soit 25 % des volumes consommés en France, sur 70 hectares. Depuis 2014, il accueille le centre de R&D du groupe danois, avec un investissement de 18 millions d’euros et une surface de 9 000 m², où travaillent 50 experts. Près de 250 000 analyses sont réalisées chaque année pour garantir la conformité des produits. Depuis 1969, près de 70 recettes ont été développées. En 2025, cinq nouveautés ont été lancées, et les produits de moins de trois ans représentent 10 à 15 % du chiffre d’affaires. Le développement d’un nouveau produit commence par une intention marketing, suivi de la création de prototypes, d’ajustements aromatiques, de tests sensoriels et de simulations de transport. La brasserie pilote permet de tester des recettes de 1 à 50 hectolitres. L’innovation porte aussi sur la réduction du plastique et l’amélioration de la recyclabilité des emballages.
Le groupe Avril, propriétaire de Lesieur et Vivien Paille, a inauguré le 28 avril son Innolab à Bruz, près de Rennes, dédié à l’alimentation humaine et à la nutrition animale. Sur 1 000 m² et trois niveaux, 42 chercheurs, ingénieurs, techniciens et data scientists travaillent sur les protéines et extraits végétaux issus de tournesol, colza, pois, lentilles et féveroles. Le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 7,7 milliards d’euros en 2024 avec près de 8 400 salariés. L’Innolab vise à favoriser la transversalité des expertises et à renforcer les liens avec la recherche académique et les pôles de compétitivité. Les équipes développent des solutions nutritionnelles durables, testent des applications dans tous les domaines de l’agroalimentaire, et modélisent le système digestif des animaux pour réduire les tests in vivo. L’analyse des données permet d’optimiser les formulations et d’améliorer la performance des élevages tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et l’usage des antibiotiques.
Fleury Michon, à Pouzauges (Vendée), a inauguré il y a trois ans un nouveau site R&D de 1 660 m², rassemblant une quarantaine de collaborateurs autour de trois lieux clés : l’atelier, la table et la cuisine. Plus de 80 chefs cuisiniers ou charcutiers participent à l’élaboration des produits. En 2024, la marque a lancé Les Tranches végé à base de légumineuses, après trois ans de R&D et plus de 300 tests, avec un taux de réachat de 70 %. Plus de 80 projets sont en développement, et 20 à 40 innovations ou améliorations sont lancées chaque année. Fleury Michon a été précurseur sur les tranches de jambon sans nitrites (2021) et les plats cuisinés individuels en barquette bois (2019). L’adaptation des recettes au nouvel algorithme Nutri-score est en cours. Les innovations passent par des tests collectifs, des dégustations à l’aveugle et des essais en halle pilote avant l’industrialisation.
Zalando, à Berlin, a mis en place le Fitting Lab pour réduire les retours produits grâce à une combinaison d’intelligence artificielle et d’expertise humaine. Le département « size and fit » emploie une centaine de personnes. En Allemagne, un produit sur deux est renvoyé, contre un sur quatre en France. Chaque jour, 100 articles sont analysés, et un scanner 3D doté de 140 caméras numérise les vêtements. La cabine d’essayage virtuelle, lancée en 2023, a été adoptée par 400 000 clients sur 50 millions, réduisant les retours liés à la taille de 40 %. Les recommandations de taille Zalando ont permis une baisse de 10 % des retours. Les données collectées servent à harmoniser les tailles entre 6 000 marques. Zalando teste également une boutique expérimentale, Fit First, pour offrir des recommandations ultrapersonnalisées.
Damart, entreprise textile fondée en 1953 à Roubaix, adapte ses collections au changement climatique. Le service R&D, composé de six personnes, développe des innovations comme le Recylactyl (recyclage de chutes de Thermolactyl) et le Climatyl (réduction de la sensation de chaleur). En 2023, Damart a réalisé un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros en France (370 M€ au total) avec 1 100 salariés. Le budget développement produit représente 1 à 3 % du CA, jusqu’à 5 % en incluant l’innovation. L’entreprise vise une nouveauté significative par saison et utilise l’intelligence artificielle pour modéliser le confort des tissus. Les innovations sont testées en laboratoire pour leur résistance, leur capacité thermique et leur adaptation aux différentes morphologies.
La Phocéenne de cosmétique, maison mère du Petit Olivier, a ouvert en 2015 un centre R&D à Salon-de-Provence, avec un investissement de 1,5 million d’euros et une surface de 100 m². En 2024, 40 innovations sont sorties du laboratoire, qui emploie une équipe dédiée à la formulation de produits à 95 % d’origine naturelle. Le développement d’un produit dure en moyenne un an, deux ans pour les solaires. Les tests incluent la résistance à l’eau, la stabilité à différentes températures et la conservation. Les essais consommateurs sont externalisés, et des projets de longue haleine, comme la valorisation de déchets d’olives, sont en cours.
Seb, fabricant de petit électroménager basé à Écully (près de Lyon), conçoit des appareils pour tous ses marchés mondiaux. Le centre d’innovation, ouvert en 2017, emploie 150 personnes aux profils variés. Seb réalise 60 % de son chiffre d’affaires avec des produits de moins de trois ans, consacre 4 % de son CA à l’innovation (environ 300 M€) et dépose 500 brevets par an (dont 150 en France). Les cycles d’innovation sont passés de 5-6 ans à 2-3 ans. Les équipes incluent désormais des anthropologues et des ethnologues pour mieux comprendre les usages. Les innovations sont testées dans un centre d’observation culinaire et un laboratoire Food Science. Seb s’appuie sur sa présence en Chine pour anticiper les tendances mondiales et adapte ses produits aux spécificités culturelles de chaque marché.
En bilan, après une décennie de recul, le poids de l’innovation dans le chiffre d’affaires des produits de grande consommation (PGC-FLS) est reparti à la hausse en 2024, atteignant 0,8 % (+0,1 point), avec 731 millions d’euros générés par les nouveautés, le meilleur résultat depuis 2019 mais encore loin des 989 millions d’euros de 2018. Le chiffre d’affaires des trois meilleures innovations a bondi de 105 %, celui des 30 meilleures de 18 %. Cependant, le nombre d’innovations reste faible : 329 en 2024 (-0,9 % vs 2023, contre 540 en 2020). Selon Circana, seulement 19 % des lancements étaient de vraies innovations (25 % en 2019). Les industriels, affectés par le Covid, la crise ukrainienne et l’inflation, ont privilégié les extensions de gamme. Le contexte 2025 est plus favorable, avec une reprise des volumes, la fin du cycle inflationniste et une météo clémente. Les consommateurs semblent prêts à payer plus cher pour des innovations, surtout axées sur le plaisir, qui reste le principal moteur d’achat (63,8 % en France en 2024, +3 points). L’espoir est de voir le poids de l’innovation remonter à 1 %, niveau de 2021.