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Effets d’échelle. La période n’a jamais été aussi favorable aux géants de l’économie

20 juin 2025
Numéros de page :
p.9
La grande taille des entreprises offre d’importants avantages, notamment la capacité à compenser les coûts fixes par des revenus plus élevés, à accroître les bénéfices, à soutenir l’investissement, et à renforcer le pouvoir de négociation auprès des fournisseurs et des financiers. Depuis le début des années 2000, ces avantages se sont accrus grâce à l’essor des actifs immatériels comme les logiciels et la propriété intellectuelle, ainsi qu’à la mondialisation, qui a permis aux grandes entreprises d’accéder à une main-d’œuvre plus nombreuse et moins coûteuse. Aux États-Unis, l’écart de rentabilité entre grandes et petites entreprises s’est creusé, donnant naissance à des “superstars” qui dominent leur secteur. L’intelligence artificielle (IA) accentue encore la domination des grandes entreprises. Selon une enquête de Bain réalisée en décembre, les entreprises américaines dont le chiffre d’affaires dépasse 5 milliards de dollars (4,4 milliards d’euros) consacrent en moyenne 27 millions de dollars (24 millions d’euros) par an à des projets d’IA générative, soit cinq fois plus qu’en février précédent. Les entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 500 millions et 5 milliards de dollars (438 millions à 4,4 milliards d’euros) n’y consacrent que 9 millions de dollars (7,9 millions d’euros), avec une augmentation de seulement deux tiers sur la même période. JPMorgan Chase, la plus grande banque américaine, a déployé des outils d’IA auprès de la plupart de ses 320 000 employés, tandis qu’UnitedHealth, premier assureur santé du pays, utilise 1 000 applications différentes d’IA. Le fonctionnement de l’IA exige des investissements importants pour organiser les données et adapter les modèles, ce qui favorise les grandes entreprises disposant de vastes jeux de données. La taille confère également une meilleure résistance aux chocs économiques et politiques. Les grandes entreprises cotées en bourse, situées dans le quintile supérieur en termes de chiffre d’affaires, affichent des marges d’exploitation plus élevées, un ratio dette/bénéfice d’exploitation plus sain, et davantage de liquidités que la moyenne. Elles sont donc moins vulnérables lors des ralentissements économiques et rebondissent plus vite, comme après la pandémie de Covid-19. Dans une analyse de neuf secteurs non financiers, les plus grandes entreprises ont été, en moyenne, plus rentables en 2023 et 2024 qu’en 2018 et 2019 dans sept secteurs, alors que les plus petites ont vu leur rentabilité diminuer dans le même nombre de secteurs. La résilience de la chaîne d’approvisionnement est également renforcée par la taille. Durant la pandémie, les grandes entreprises ont bénéficié d’un traitement prioritaire pour le transport, contrairement aux petites et moyennes entreprises. Elles disposent généralement de plus de fournisseurs répartis dans davantage de pays, ce qui leur permet de mieux s’adapter aux perturbations. Une étude du Forum économique mondial et du cabinet Kearney montre que les entreprises ayant augmenté leur part de marché après la pandémie étaient celles capables de diversifier leurs fournisseurs à l’international. Le capital politique est un autre atout majeur. En 2024, la moitié la plus petite des entreprises du S&P 500 n’a pas dépensé en lobbying, s’appuyant sur des organisations comme la Chambre de commerce américaine. En revanche, l’entreprise médiane du quartile supérieur a dépensé 3,3 millions de dollars (2,9 millions d’euros) en lobbying, soit cinq fois plus que le quartile précédent et deux fois plus en pourcentage de ses dépenses d’exploitation, tout en employant davantage de lobbyistes. Donald Trump entretient des relations directes avec les dirigeants de grandes entreprises comme Home Depot, Target et Walmart, qui ont pu lui exposer leurs préoccupations sur les droits de douane, alors que les petits détaillants n’ont pas eu ce privilège. Trump se montre particulièrement attentif aux entreprises promettant d’investir massivement aux États-Unis, déclarant en février : “Tant d’entreprises veulent venir à la Maison Blanche… [Elles offrent] 10 milliards de dollars ou plus, et me voilà”. Depuis l’investiture de Donald Trump, l’indice Russell 2000, qui regroupe les plus petites entreprises cotées, a baissé de 11 %, contre seulement 3 % pour l’indice S&P 100, composé des plus grandes entreprises. Toutefois, la domination des géants comporte aussi des risques. Les entreprises traditionnelles qui tardent à adopter l’IA risquent d’être dépassées par de nouveaux entrants spécialisés. Les droits de douane imposés par Trump pourraient bouleverser durablement la mondialisation, limitant l’accès des entreprises américaines aux marchés étrangers, ce qui affecterait davantage les grandes entreprises, qui réalisent 23 % de leurs ventes à l’étranger, contre seulement 7 % pour les plus petites. La visibilité accrue auprès des responsables politiques peut aussi se retourner contre les grandes entreprises. Walmart a irrité Trump en suggérant devoir augmenter ses prix à cause des droits de douane. Apple, après avoir obtenu un sursis partiel sur les droits de douane pour ses iPhones fabriqués en Chine, a annoncé la délocalisation de la production en Inde, ce qui a conduit Trump à menacer d’imposer des droits de douane “d’au moins 25 %” sur les iPhones vendus aux États-Unis mais fabriqués ailleurs. Même si les tribunaux invalident ces menaces, Trump dispose de nombreux autres moyens pour compliquer la vie des grandes entreprises. Ainsi, si les géants américains ont bénéficié d’avantages considérables, ils doivent aussi s’attendre à des difficultés proportionnelles à leur taille.
Note Générale : Source : "The Economist".