Directeur national des ventes, un métier sous tension
Bulletin : LSA 19 juin 2025
19 juin 2025
Numéros de page :
pp.26-31
Face à une conjoncture économique difficile, le métier de directeur national des ventes (DNV) dans la grande distribution alimentaire s’est profondément transformé et complexifié. Les DNV doivent faire preuve d’une grande agilité pour s’adapter aux nombreux changements du secteur, notamment la multiplication des mouvements d’enseignes : en 2024, plus de 500 magasins ont changé d’enseigne ou intégré un nouveau groupement. Les politiques de location-gérance et de franchise, comme chez Carrefour, transforment des points de vente auparavant centralisés en entités indépendantes, rendant la gestion des assortiments plus incertaine et le travail des DNV plus long et difficile.
Pour répondre à l’essor des distributeurs indépendants, les DNV recherchent des stratégies plus flexibles, tant sur la force de vente que sur les coûts. Beaucoup d’industriels externalisent une partie de leur force de vente ou mutualisent les efforts commerciaux avec d’autres entreprises, selon la taille de l’entreprise ou la catégorie de produits. Cette évolution s’accompagne d’une pression accrue sur les comptes d’exploitation et d’une nécessité d’adapter les objectifs et les méthodes de travail, notamment en intensifiant les visites en magasin pour compenser d’éventuelles pertes de distribution. Par exemple, une perte de 20 % d’une enseigne d’indépendants oblige les commerciaux à multiplier les visites pour récupérer les ventes.
Le contexte inflationniste, particulièrement marqué sur certaines matières premières comme le cacao, accentue la tension lors des négociations commerciales. L’application de hausses tarifaires peut entraîner une réduction des assortiments, désorganisant les plans de tournée des forces de vente. Les DNV doivent donc adapter leurs objectifs et faire preuve de plus de souplesse dans leurs relations avec les directeurs de magasin.
Le turnover au sein des équipes commerciales s’accroît, rendant cruciales les évolutions de carrière rapides pour retenir les talents. Après la crise du Covid, les équipes ont été réorganisées, accentuant le fossé entre les personnels du siège, qui bénéficient du télétravail, et ceux du terrain, soumis à des horaires fixes. Les DNV doivent gérer ces disparités et trouver des solutions adaptées à chaque situation.
Organisation des directions nationales des ventes :
Chez Andros, la DNV regroupe environ 100 collaborateurs sur le terrain (neuf chefs de vente, chefs de secteur, promoteurs des ventes, alternants) et 15 au siège, pour un chiffre d’affaires 2023 de 1,2 milliard d’euros (+6,5 %).
Mondelez International France compte plus de 300 collaborateurs dans la DNV, avec un chiffre d’affaires 2023 de 1,75 milliard d’euros (+8,8 %). Depuis 2019, toutes les forces de vente sont fusionnées autour d’un modèle unique, avec des binômes responsables de secteur/promoteurs des ventes.
Barilla France dispose d’une force de vente de 112 personnes, structurée autour de deux responsables couvrant 11 régions, pour un chiffre d’affaires 2023 de 743 millions d’euros (+8 %).
Bel France compte environ 100 collaborateurs dans la DNV (60 chefs de secteur, 30 promoteurs des ventes, 9 directeurs régionaux), avec 25 % des effectifs de plus de 50 ans, et un chiffre d’affaires mondial 2024 de 3,74 milliards d’euros (+3,4 %).
Évolution du métier : La grande distribution connaît de nombreuses fusions-acquisitions et la disparition de certains acteurs, entraînant des réductions de personnel et une nécessité de présence accrue sur le terrain. Les gammes de produits se sont élargies, nécessitant une structuration des équipes pour couvrir de nouvelles catégories. La pandémie de Covid-19 a replacé les équipes de vente au centre des enjeux, avec des indicateurs de performance de plus en plus liés à la réalité économique et à la stratégie des marques. Les managers de magasin optimisent leur temps d’échange avec les commerciaux, qui doivent être plus concis et efficaces. Les DNV accompagnent aussi les directeurs de magasin dans l’appropriation de nouveaux outils.
Recrutement et fidélisation des jeunes : Le principal défi n’est pas tant le recrutement que la fidélisation d’une génération plus encline à changer d’emploi et à rechercher rapidement des fonctions au siège. Andros a créé en septembre 2024 une école de vente accueillant 17 alternants sur deux ans (niveaux master ou licence). Mondelez a revu les conditions salariales et propose des évolutions rapides : un jeune commercial de 23 ou 24 ans peut devenir manager d’un promoteur des ventes. Les jeunes recherchent un meilleur équilibre vie professionnelle/vie personnelle et souhaitent participer à des projets transversaux. Les entreprises mettent en place des formations et des équipes d’experts par enseigne ou métier pour répondre à ces attentes. Chez Bel, la politique de responsabilité sociétale attire des personnalités engagées.
Impact du drive : Le drive prend une place croissante dans la distribution, représentant environ 10 % des ventes chez Mondelez et près de 14 % chez Barilla, contre un poids naturel du circuit autour de 10 %. Andros visite actuellement 300 drives E.Leclerc, mais ne juge pas pertinent de constituer une équipe dédiée au drive en raison des coûts. Barilla a une cellule dédiée au drive, ce qui lui permet d’y surperformer. Les DNV adaptent leur organisation : chez Bel, la fréquence des visites en drive a été réduite à quatre fois par an, contre une fois par mois auparavant, et les contacts à distance (téléphone, mail) sont désormais considérés comme des visites. Le développement du drive pousse aussi à réinventer l’activation des marques et à renforcer la théâtralisation dans les magasins physiques pour attirer les clients.
En résumé, le métier de DNV est aujourd’hui marqué par une complexité croissante, une nécessité d’agilité et d’innovation dans l’organisation des équipes, la gestion des circuits de distribution, le recrutement et la fidélisation des jeunes talents, ainsi que l’adaptation aux nouveaux modes de consommation comme le drive. Les chiffres clés à retenir sont : plus de 500 magasins ayant changé d’enseigne en 2024, 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires pour Andros en 2023 (+6,5 %), 1,75 milliard pour Mondelez (+8,8 %), 743 millions pour Barilla (+8 %), 3,74 milliards pour Bel en 2024 (+3,4 %), 100 à 300 collaborateurs selon les groupes dans les DNV, 17 alternants dans l’école de vente Andros, 10 % à 14 % de part de marché du drive selon les entreprises.