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Comment Google tente de défendre son monopole face à l’IA

13 juin 2025
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pp.8-9
Sergey Brin, cofondateur de Google, a souligné lors de la conférence annuelle des développeurs l’importance stratégique de l’intelligence artificielle (IA) pour l’avenir de l’entreprise, affirmant que l’IA aura un impact plus transformateur que l’Internet ou le téléphone portable. Il travaille quotidiennement dans le laboratoire d’IA de Google, encourageant ses ingénieurs à viser l’IA générale, un système surpassant les capacités humaines. Depuis la sortie de ChatGPT fin 2022, la position dominante de Google dans la recherche en ligne est menacée pour la première fois en une génération. Après deux ans de faux départs et une perte d’avance, Google a lancé une refonte totale de la recherche, intégrant le “mode IA” à sa barre de recherche, à son navigateur et à ses applications. Ce mode IA, alimenté par le modèle Gemini, permet d’obtenir des réponses conversationnelles plutôt qu’une simple liste de liens, et a été lancé fin mai pour les utilisateurs américains. La monétisation de l’IA dans la recherche est cruciale pour Google, qui doit protéger ses 198 milliards de dollars de revenus publicitaires annuels issus de la recherche en ligne, représentant la majorité des bénéfices d’Alphabet. Google a commencé à proposer des abonnements payants pour ses produits d’IA avancés, dont l’agent IA “Mariner” et les outils vidéo “Veo”. Les prix varient de 20 dollars par mois pour un forfait de base à 250 dollars pour un accès “ultra”, soit plus cher que les offres premium d’OpenAI et Anthropic. Google prévoit aussi d’insérer des publicités hyperciblées dans le mode IA et de commercialiser de nouveaux produits comme des lunettes de réalité augmentée et, à terme, des robots. Malgré ces initiatives, les investisseurs restent prudents. Les actions de Google ont sous-performé par rapport à Microsoft et Meta, avec un recul de 10 % cette année contre une hausse de 8 % pour Microsoft et 5 % pour Meta. Les investisseurs surveillent l’engagement sur la recherche traditionnelle et s’interrogent sur la capacité des nouveaux produits à générer des revenus sans cannibaliser l’activité existante. Google a déjà perdu trois procès antitrust et risque d’être contraint de vendre des actifs clés comme Chrome ou sa marketplace publicitaire, et de partager les données des consommateurs avec ses concurrents IA. Les revenus générés par la recherche en ligne ont permis à Google de financer un empire technologique, incluant Waymo (voitures autonomes) et AlphaFold (logiciel d’IA pour la chimie), ce dernier ayant valu à Sir Demis Hassabis, directeur de DeepMind, le prix Nobel l’année précédente. Jim Tierney, actionnaire d’Alphabet, estime que Google dispose d’une offre très compétitive mais que la question de sa part de marché future reste ouverte. Le mode IA, basé sur une version améliorée de Gemini, offre des réponses rapides et précises, permettant de poser des questions en langage naturel. Contrairement à son prédécesseur “AI Overviews”, qui avait été critiqué pour des réponses erronées ou absurdes, le nouveau mode IA n’a pas souffert d’hallucinations majeures à son lancement. Google conserve des avantages compétitifs majeurs : la confiance des utilisateurs, une portée inégalée et des années de données issues de milliards de requêtes quotidiennes. Malgré la percée de ChatGPT (plus de 600 millions d’utilisateurs mensuels) contre 400 millions pour Gemini, Google traite encore 90 % des recherches web et Android équipe près de 75 % des téléphones mobiles mondiaux. Chrome, Gmail, Agenda et Maps restent omniprésents. Les utilisateurs peuvent désormais autoriser Gemini à utiliser leur historique pour personnaliser les réponses. Le mode IA de Google vise aussi à concurrencer Perplexity, une start-up de recherche IA qui a atteint 30 millions d’utilisateurs en deux ans et discute avec Apple pour devenir une option de recherche sur Safari, menaçant ainsi un partenariat clé de Google. Google a consacré une grande partie de sa conférence du 20 mai à la protection et au développement de ses 50 milliards de dollars de revenus trimestriels issus de la publicité sur les moteurs de recherche. James Manyika, vice-président de Google, estime qu’il est logique de facturer l’accès aux modèles IA les plus performants, coûteux en calcul. Cependant, l’abonnement ultra à 250 dollars par mois reste inaccessible pour beaucoup, et la rentabilité des nouveaux produits dépendra de la publicité. Sundar Pichai affirme que l’IA encourage les utilisateurs à passer plus de temps à rechercher des réponses, élargissant ainsi le marché publicitaire global. Les publicités dans les aperçus IA seront déployées cette année dans plusieurs régions anglophones, avec des tests de placement de produits sponsorisés dans le mode IA. Google dispose d’une vaste base de données personnelles issues de ses services (e-mails, navigateurs, smartphones). Les LLM, sur lesquels reposent les chatbots, excellent dans la déduction des préférences et la construction de profils utilisateurs à partir de l’historique des conversations, rendant la publicité plus ciblée et utile. Une nouvelle fonctionnalité “essayez-le” permet aux utilisateurs de télécharger des photos pour essayer virtuellement des vêtements, augmentant l’engagement des utilisateurs et l’intérêt des annonceurs. Cependant, des défauts subsistent, comme un bug ayant ajouté des seins sur des photos d’hommes dans l’outil d’achat IA. Parmi les innovations, Project Mariner est un agent IA intégré capable d’effectuer des tâches en arrière-plan (réservations, rapports de recherche) et d’apprendre les préférences des utilisateurs pour anticiper leurs besoins. Project Astra, plus ambitieux, est un agent multimodal expérimental pouvant répondre à des requêtes vocales et agir en temps réel via la caméra d’un téléphone ou des lunettes intelligentes, avec des démonstrations de conseils mécaniques, de commandes de produits et de traduction de conversations. Les annonces de la conférence ont fait progresser le titre de Google d’environ 3 %, réduisant ses pertes annuelles à 10 %. En comparaison, Microsoft a progressé de 8 % et Meta de 5 %. Après des années difficiles, Google a profité de cette conférence pour rappeler sa puissance technologique et ses moyens financiers. Des employés de Google rappellent que l’entreprise a été pionnière dans le domaine de l’IA, notamment avec l’article fondateur de 2017 sur les transformeurs, base des LLM modernes, et estiment que ses contributions sont sous-estimées. En résumé, Google tente de défendre sa position dominante dans la recherche en ligne face à la montée de l’IA générative, en lançant de nouveaux produits, en adaptant son modèle économique avec des abonnements et une publicité plus ciblée, tout en faisant face à des défis concurrentiels, technologiques, réglementaires et financiers majeurs. Chiffres clés : 198 milliards de dollars de revenus publicitaires annuels, 50 milliards de dollars de revenus publicitaires trimestriels, abonnements IA de 20 à 250 dollars par mois, 90 % des recherches web mondiales, 75 % des téléphones équipés d’Android, 600 millions d’utilisateurs mensuels pour ChatGPT, 400 millions pour Gemini, 30 millions pour Perplexity, progression boursière de 3 % après la conférence, recul de 10 % sur l’année, contre +8 % pour Microsoft et +5 % pour Meta.
Note Générale : Source : "The Financial Times".