Le Fantasme d’un "airbus européen" dans tous les secteurs
Bulletin : Le Nouvel économiste 13 juin 2025
13 juin 2025
Numéros de page :
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Des secteurs variés comme les engrais, l’intelligence artificielle, les petites voitures, les micropuces, les vaccins, les centrales nucléaires, les plateformes de streaming, le cloud computing, les satellites et les technologies vertes sont régulièrement évoqués comme candidats à la création d’un “Airbus européen”, c’est-à-dire des champions industriels paneuropéens capables de rivaliser avec les géants mondiaux. Dans les années 1970, la fusion de petites entreprises européennes pour former Airbus a permis à l’Europe de dépasser Boeing dans l’aéronautique. Aujourd’hui, les responsables politiques européens espèrent reproduire ce succès face à des concurrents comme Google, Nvidia, SpaceX ou les constructeurs automobiles chinois.
Malgré un rapprochement théorique des économies de l’UE, les grandes entreprises européennes restent fragmentées par pays, chaque État conservant ses propres géants de l’énergie, des télécommunications, des banques ou de l’automobile. Cette fragmentation est attribuée à l’inachèvement du marché unique européen, qui complique le commerce transfrontalier, et à la réglementation, notamment les règles antitrust qui freinent les fusions. Par exemple, le projet de “Airbus du rail” proposé par Siemens et Alstom a été rejeté par Bruxelles en 2019. L’UE, qui représente un sixième de l’économie mondiale, ne compte aucune entreprise parmi les 20 premières valorisations mondiales.
Quelques alliances transfrontalières ont vu le jour, comme la fusion de Peugeot (France) et Fiat (Italie) en 2021 pour former Stellantis. Les avions de combat et les missiles sont produits par des consortiums européens. Cependant, les responsables politiques souhaitent aller plus loin, inspirés par Airbus, partiellement détenu par les gouvernements français, allemand et espagnol. Ils visent désormais la création de gigafactories de micropuces, d’entreprises de technologies vertes pour la décarbonation, et d’autres champions industriels, afin de renforcer l’autonomie stratégique de l’Europe.
Historiquement, l’UE privilégiait une approche non interventionniste, sous l’influence de l’Allemagne et du Royaume-Uni, tandis que la France acceptait de limiter son interventionnisme en échange de subventions agricoles. Mais le retour du dirigisme s’accélère, stimulé par la montée de l’industrie chinoise, le Brexit, la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine et les deux mandats de Donald Trump, qui ont renforcé l’idée d’une nécessaire autonomie stratégique européenne.
Bruxelles, qui décourageait autrefois les aides ciblées, accorde désormais d’importantes exemptions aux industries jugées stratégiques, telles que les batteries, les micropuces ou l’hydrogène, qui reçoivent des milliards d’euros de l’UE et des États membres. Airbus, Thales (France) et Leonardo (Italie), toutes trois partiellement détenues par l’État, font pression pour fusionner leurs activités de lancement de satellites. Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence jusqu’en novembre dernier, a mis en garde contre l’affaiblissement de la concurrence, qui pourrait nuire à la compétitivité européenne. Les positions de sa successeure, Teresa Ribera, restent incertaines.
Guillaume Faury, patron d’Airbus, affirme que la coopération européenne permet d’atteindre la taille critique pour devenir leader mondial. Cependant, le modèle Airbus, adapté à une industrie à coûts fixes élevés et à demande stable, ne se transpose pas aisément à d’autres secteurs. Plusieurs grands projets ont échoué : Northvolt, présenté comme “l’Airbus des batteries”, a fait faillite malgré une levée de fonds de 15 milliards de dollars (13 milliards d’euros) ; Gaia-X, “l’Airbus du cloud computing”, n’a pas réussi à concurrencer Amazon et Microsoft.
Les ambitions industrielles européennes se heurtent à la contrainte de la dette publique. À l’exception de l’Allemagne, les grands pays de l’UE ont des dettes importantes et doivent financer leur défense au détriment de la politique industrielle. La solution privilégiée consiste à protéger discrètement certaines industries, par exemple via des droits de douane sur les véhicules électriques chinois ou une taxe carbone sur certains produits importés. L’étape suivante serait la création de champions européens bénéficiant d’une protection à l’échelle du continent, ce qui profiterait à l’industrie et à ses profits, mais au détriment des consommateurs, qui en paieraient le prix à long terme.
Note Générale : Source : "The Economist".