Ouf, c'est une fille !
Bulletin : Le| Nouvel économiste 13 juin 2025
13 juin 2025
Numéros de page :
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À la fin des années 1980, la généralisation des échographies bon marché a permis de déterminer facilement le sexe des fœtus, entraînant une forte augmentation des avortements sélectifs visant les filles dans certains pays, notamment en Asie. En 2000, il manquait 1,6 million de filles à la naissance dans le monde par rapport au nombre attendu selon le sex-ratio naturel (environ 105 garçons pour 100 filles). En 2025, ce déficit devrait tomber à 200 000, et la tendance continue de baisser.
Le recul de la préférence pour les garçons a été particulièrement rapide dans les pays où elle était la plus marquée. En Chine, le rapport de masculinité à la naissance est passé de 117,8 garçons pour 100 filles en 2006 à 109,8 en 2024. En Inde, il est passé de 109,6 en 2010 à 106,8. En Corée du Sud, après un pic de 115,7 en 1990, le ratio est revenu à la normale. Ce rééquilibrage du sex-ratio est le signe d’un déclin des traditions sexistes qui valorisaient les garçons, notamment l’idée que les fils sont nécessaires pour s’occuper des parents âgés.
Le surplus d’hommes causé par les avortements sélectifs a eu des conséquences sociales importantes : des millions d’hommes condamnés au célibat, appelés “branches nues” en Chine, ont souffert d’isolement et de frustration, ce qui a contribué à une augmentation de la violence et des crimes, notamment des viols, dans plusieurs pays asiatiques. Des études ont établi un lien entre le déséquilibre des sexes et la hausse des crimes violents, ainsi que le durcissement des politiques policières. La disparition progressive de la préférence pour les garçons devrait rendre les sociétés plus sûres.
Dans certains pays, une préférence modérée pour les filles commence à émerger, sans pour autant entraîner d’excédent notable de filles. Cette préférence se manifeste par des sondages, des choix de fécondité (au Japon, les couples qui ne veulent qu’un enfant préfèrent souvent une fille), ou encore par le fait que, dans des pays comme les États-Unis et en Scandinavie, les couples sont plus enclins à avoir un autre enfant si les premiers sont des garçons, suggérant qu’ils souhaitent avoir une fille. Lors des adoptions, les couples paient plus cher pour une fille, et dans les pays où la sélection du sexe de l’embryon est légale, les femmes choisissent de plus en plus d’avoir des filles via la FIV.
Les raisons de cette nouvelle préférence incluent la perception que les filles sont plus faciles à élever, ou qu’elles s’occupent mieux des parents âgés. Elle reflète aussi des inquiétudes croissantes concernant l’avenir des garçons : 93 % des détenus dans le monde sont des hommes, et dans la plupart des pays, les garçons sont en retard sur les filles à l’école. Dans les pays riches, 54 % des jeunes femmes ont un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 41 % des jeunes hommes. Les hommes restent surreprésentés à la fois au sommet (conseils d’administration) et au bas de l’échelle sociale.
Les gouvernements s’inquiètent de la situation des garçons, qui mûrissent plus lentement que les filles. Des mesures sont suggérées, comme le redoublement d’une année scolaire, l’augmentation du nombre d’enseignants masculins à l’école primaire, ou une meilleure orientation professionnelle vers des métiers traditionnellement féminins comme les soins infirmiers. Adapter les politiques pour aider les garçons ne signifie pas désavantager les filles.
L’avenir pourrait voir de nouvelles dérives sexo-sélectives avec l’essor des technologies de sélection du sexe. Les tests sanguins peu coûteux, disponibles dès les premières semaines de grossesse, permettent déjà de connaître le sexe de l’embryon, et pourraient être utilisés pour choisir le sexe de l’enfant, notamment via des pilules abortives. Les techniques de sélection du sexe, aujourd’hui coûteuses et rares, deviendront probablement plus accessibles.
Si un déséquilibre inverse apparaissait, avec un excès de femmes, les conséquences seraient différentes : un surplus de femmes célibataires ne conduirait pas à une augmentation de la violence, mais pourrait rendre les rencontres plus difficiles pour les femmes hétérosexuelles, certains hommes pouvant exploiter leur position de force sur le marché des rencontres. Un monde majoritairement féminin pourrait être plus pacifique, mais présenterait aussi de nouveaux défis sociaux.
En résumé, le nombre de filles manquantes à la naissance est passé de 1,6 million en 2000 à 200 000 en 2025, le sex-ratio à la naissance s’est rééquilibré en Chine (de 117,8 en 2006 à 109,8 en 2024), en Inde (de 109,6 en 2010 à 106,8) et en Corée du Sud (de 115,7 en 1990 à la normale). 93 % des détenus dans le monde sont des hommes, et dans les pays riches, 54 % des jeunes femmes contre 41 % des jeunes hommes ont un diplôme de l’enseignement supérieur. La préférence pour les garçons recule, mais de nouveaux enjeux liés à la sélection du sexe pourraient émerger avec les avancées technologiques.
Note Générale : Source : "The Economist".