Aller au contenu principal

Mythes et mensonges de la capitalisation

01 juin 2025
Numéros de page :
p.3
Quatre-vingts ans après la création de la Sécurité sociale, la question de la retraite par capitalisation revient dans le débat public français, soutenue par quarante-quatre sénateurs et des organisations patronales comme la CPME et le Medef. Le gouvernement, par la voix de la ministre du travail Astrid Panosyan-Bouvet et de la secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon, se montre ouvert à cette option, contrairement à d’autres syndicats plus réticents. Le niveau de vie des retraités français, en moyenne, est comparable ou légèrement supérieur à celui des actifs, mais 15% des retraités disposent d’un niveau de vie mensuel (après logement) égal ou inférieur à 1020 euros. Le montant moyen des pensions est de 1662 euros net par mois. Le taux de pauvreté des retraités est de 10%, inférieur à celui de la population générale (14,5%) mais supérieur à celui des salariés (6,1%). Les inégalités entre retraités s’expliquent surtout par le patrimoine accumulé durant la vie active. La capitalisation n’est pas une innovation : les premiers systèmes de retraite français, fondés sur ce principe, ont été abandonnés car incapables de garantir des pensions suffisantes, notamment en période d’inflation. La répartition, instaurée avec la Sécurité sociale, a permis de réduire la pauvreté des retraités, la France affichant l’un des taux les plus faibles d’Europe. Certains régimes professionnels (pharmaciens, fonctionnaires) intègrent déjà une part de capitalisation. Les promoteurs de la généralisation de ce système, dont des assureurs et sociétés financières, y voient une opportunité d’accéder à un marché de 355 milliards d’euros (dépenses de protection sociale en 2022). La capitalisation pourrait aussi permettre une baisse des cotisations patronales, notamment si elle s’accompagne d’une TVA sociale. L’introduction d’un système mixte, combinant répartition et capitalisation, risque d’accentuer l’individualisation de la protection sociale et de creuser les inégalités entre classes sociales. Elle faciliterait la réduction progressive des mécanismes solidaires. Selon l’avocat fiscaliste Jean-Philippe Delsol, la capitalisation responsabiliserait les individus, mais cette logique s’inscrit dans un projet de remise en cause de la Sécurité sociale comme instrument de solidarité, objectif affiché dès 2007 par Denis Kessler, ancien dirigeant du Medef. Les partisans de la capitalisation avancent qu’elle stimulerait la croissance en orientant l’épargne vers l’investissement productif. En réalité, la capitalisation concentre les fonds dans les mains de quelques grands acteurs financiers, dont la priorité est le rendement. Aux États-Unis, la durée moyenne de détention des actions est passée de cinq ans (1940-1980) à cinq mois et demi en juin 2020, ce qui fragilise les entreprises et accroît la spéculation. La capitalisation est présentée comme plus performante que la répartition, car le rendement du capital serait structurellement supérieur à la croissance économique. Cependant, la financiarisation de l’économie accroît l’instabilité et favorise les crises, comme l’a montré la crise des subprimes en 2008, qui a entraîné une perte de 25% de la valeur des actifs des fonds de pension mondiaux et retardé le départ à la retraite de nombreux Américains. Aux États-Unis, la capitalisation représente environ 40% des pensions. Au Chili, où la capitalisation individuelle privée a été imposée, trois quarts des retraités perçoivent une pension inférieure au salaire minimum. L’argument démographique, selon lequel le vieillissement condamnerait la répartition, est nuancé par l’économiste Patrick Artus : dans une société vieillissante, le rendement des actions baisse, et la transition vers la capitalisation imposerait une double contribution aux actifs (pour leur propre retraite et celle de leurs aînés), ce qui représenterait un coût colossal. Les prévisions les plus pessimistes situent le déficit du système de retraite français à 1% du PIB dans les prochaines décennies, loin d’un effondrement incontrôlé. D’autres solutions existent pour équilibrer le système : élargir l’assiette de financement à certains revenus du capital et du patrimoine, augmenter les salaires et supprimer les inégalités salariales entre femmes et hommes, ce qui augmenterait les cotisations. L’urgence à réformer et à capitaliser sert surtout à éviter ces débats.