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Autorité de la concurrence : le bilan et les priorités du président, Benoît Coeuré

Bulletin : LSA 05 juin 2025
05 juin 2025
Numéros de page :
pp.8-11
En 2024, l’Autorité de la concurrence a prononcé 1,4 milliard d’euros d’amendes, soit huit fois plus qu’en 2023, atteignant le deuxième montant le plus élevé après 2020 (1,78 milliard d’euros). Elle a examiné 295 opérations de concentration, soit une hausse de 10 % par rapport à 2023, malgré une baisse des effectifs de 1 % (200 personnes). Parmi les décisions marquantes : en mars 2024, Google a été sanctionné de 250 millions d’euros pour non-respect de ses engagements sur les droits voisins de la presse ; entre novembre 2024 et mars 2025, cinq décisions d’autorisation ont concerné Intermarché, Auchan et Carrefour après le rachat de 590 magasins, avec l’obligation d’en céder 25 (soit 5 %, un chiffre dans la moyenne) ; en décembre 2024, dix fabricants et deux distributeurs d’électroménager ont été condamnés pour entente à hauteur de 611 millions d’euros ; en avril 2025, Apple a écopé d’une amende de 150 millions d’euros pour son dispositif de ciblage publicitaire. Benoît Cœuré, président depuis janvier 2022 pour cinq ans, a élargi le champ d’action de l’Autorité, qui compte désormais un service d’économie numérique créé en 2020. L’Autorité, composée de 17 membres au collège, contrôle désormais les concentrations, ce qui relevait auparavant du ministère de l’Économie, et peut s’autosaisir, comme sur l’IA générative. Les priorités affichées pour 2025-2026 sont le pouvoir d’achat, le développement durable et le numérique. Dans la grande distribution, la méthodologie d’analyse des concentrations repose sur la présence d’au moins trois concurrents nationaux crédibles dans une zone, la part de marché (seuil de 50 % des surfaces), la diversité de l’offre, la localisation et la taille des magasins, ainsi que le comportement effectif des consommateurs (méthode des empreintes réelles). Par exemple, à Marseille, Auchan doit céder 4 000 m² de son hypermarché La Valentine à deux enseignes. La loi Macron de 2015 impose aux enseignes de notifier à l’Autorité la création ou modification d’une centrale d’achats. L’Autorité vérifie la structure juridique, le personnel, les systèmes d’information, les clauses contractuelles, et l’impact sur les producteurs, notamment les plus fragiles (ex : produits agricoles non transformés). Les alliances à l’achat sont analysées différemment selon la puissance des producteurs et la nature des produits (marques nationales ou distributeurs). La concentration croissante à l’aval de la chaîne agroalimentaire, face à un amont dispersé, est identifiée comme un facteur de déficit de compétitivité. L’Autorité accompagne la restructuration de l’offre agricole, comme lors du rachat d’Axéréal par le groupe Avril, autorisé sans conditions. Benoît Cœuré critique la régulation des marchés agricoles par la loi Egalim, estimant que la construction administrative des prix (SRP + 10) ne garantit pas que la valeur remonte aux producteurs et que l’industrie agroalimentaire a capté une partie de l’augmentation des prix lors de la récente inflation. Il appelle à une réflexion sur l’organisation de l’offre agricole, jugeant Egalim « un cautère sur une jambe de bois ». Sur l’environnement, l’Autorité adapte le droit de la concurrence aux enjeux de développement durable, notamment dans les marchés liés à la transition énergétique. Elle a déjà sanctionné des ententes limitant la performance environnementale (revêtements de sol en 2017, bisphénol A dans l’agroalimentaire). Elle encourage les pratiques de coopération entre entreprises bénéfiques pour l’environnement, dans le cadre des nouvelles lignes directrices européennes sur les accords de durabilité, à condition que l’impact soit observable, mesurable et qu’une partie des gains bénéficie aux consommateurs. Deux lettres d’orientation informelle ont été publiées : l’une sur la mesure de l’empreinte carbone dans la nutrition animale, l’autre sur l’accompagnement agroécologique des exploitations agricoles (PADV). Concernant le numérique, l’Autorité veille à la concurrence sur les marchés dominés par les Gafam. Le règlement européen DMA interdit certaines pratiques (autopréférencement, ventes liées) mais ne couvre que certains acteurs et services, nécessitant une coordination avec la Commission européenne. L’IA générative, nécessitant d’importantes ressources (données, calcul, talents, capitaux), risque de renforcer la concentration du marché. L’Autorité surveille l’émergence de nouveaux acteurs comme DeepSeek pour maintenir la compétitivité et éviter une concentration excessive difficile à corriger par la suite. L’Autorité de la concurrence combine ainsi sanctions, avis, accompagnement et adaptation de ses outils pour répondre aux enjeux du pouvoir d’achat, de la transition écologique et du numérique, tout en veillant à l’équilibre entre innovation, compétitivité et protection des consommateurs et producteurs.