Fermetures de supermarchés et d'hypermarchés. Le jour d'après
Bulletin : LSA 29 mai 2025
29 mai 2025
Numéros de page :
pp.6-9
En France, les fermetures d’hypermarchés et de supermarchés se multiplient, conséquence du démantèlement de Casino mais aussi d’une évolution structurelle du secteur. La concentration de la grande distribution alimentaire, amorcée il y a deux ans, s’accélère, touchant désormais l’alimentaire alors que les fermetures étaient auparavant cantonnées au textile. La spécialisation de la consommation, accentuée depuis quinze ans, entraîne une perte d’attractivité des enseignes généralistes. Les fermetures concernent tous les territoires, qu’ils soient urbains ou ruraux, et chaque cas présente des spécificités selon les acteurs impliqués (bailleurs, enseignes, collectivités).
À Clermont-Ferrand, l’hypermarché Auchan de 10 000 m², employant 194 salariés, a fermé après avoir souffert d’une mauvaise réputation et d’une dégradation progressive du site, malgré l’ajout d’une galerie neuve en 2010. Le centre commercial, d’une surface totale de 40 000 m², jouait un rôle de commerce de proximité pour une population souvent âgée. La fermeture a suscité l’émoi des associations et des élus, le maire dénonçant le « désengagement sec » d’Auchan.
À La Riche, près de Tours, l’Intermarché de 8 000 m² a fermé le 26 avril après avoir enregistré 7,5 millions d’euros de pertes pour 13,6 millions d’euros de chiffre d’affaires, en raison d’une politique commerciale hasardeuse et de loyers élevés. La métropole de Tours a exercé son droit de préemption sur les 17 hectares du site, souhaitant diversifier les usages (culturels, sportifs, événementiels).
À Bar-le-Duc (15 000 habitants), l’Auchan de 6 500 m², qui réalisait jusqu’à 85 millions d’euros de chiffre d’affaires à ses meilleures années, a fermé après l’arrivée de concurrents comme E.Leclerc, Intermarché, Lidl et Aldi. Le phénomène touche aussi Aurillac, Bourges, Brest, Brive-la-Gaillarde, Dijon, Lannion, Montceau-les-Mines, Montpellier, Niort, Saint-Brieuc, etc. En novembre, Auchan a annoncé dix fermetures, Intermarché une trentaine début avril (tous ex-Casino), et Casino a fermé discrètement une vingtaine de magasins le 30 septembre 2024, dont 18 magasins Casino précisément à cette date. Aucun territoire n’est épargné.
Les causes principales sont la baisse de la population dans certaines zones, la polarisation autour de quelques enseignes, la spécialisation des enseignes et la perte d’attractivité des généralistes. En 2008, Mercialys gérait 130 sites, contre 33 aujourd’hui, qui représentent 95 % de son chiffre d’affaires. Les magasins qui ferment affichent des rendements de chiffre d’affaires au mètre carré faibles et des pertes incompressibles.
La gestion de l’après-fermeture est complexe. L’enseigne locataire doit continuer à payer l’entretien et éventuellement trouver un repreneur jusqu’à la fin du bail. À Brest et Niort, Mercialys a poursuivi Casino en justice pour exiger la réouverture des magasins, les baux courant jusqu’au 30 juin 2027. À Plan de Campagne, Intermarché a fermé 14 000 m² le 26 avril, et des conflits similaires sont attendus. La structure de propriété des centres commerciaux complique la relance, car la locomotive alimentaire et la galerie marchande appartiennent souvent à des entités différentes.
À Clermont-Ferrand, Auchan est propriétaire de l’hyper et d’une partie de la galerie, aux côtés de la mairie et de petits propriétaires. L’entretien du site coûte 1 million d’euros par an (sécurité incendie, chauffage, nettoyage). Un fonds de revitalisation négocié entre l’État et le distributeur doit permettre d’indemniser les commerçants de la galerie. La mairie espère attirer une moyenne surface alimentaire sur les 10 000 m² laissés vacants.
À Lucé (16 000 habitants), près de Chartres, le conseil municipal a inscrit dans le plan local d’urbanisme que la zone doit rester à dominante commerciale et de services, pour attirer une nouvelle offre répondant aux besoins des habitants. Intermarché a annoncé son retrait le 3 avril 2024, et la priorité est de trouver un ou plusieurs repreneurs, notamment pour une grande surface alimentaire, une jardinerie et une enseigne de bricolage.
À Saint-Michel-sur-Orge (21 000 habitants), la maire cherche activement un repreneur pour un Géant Casino de 8 000 m² fermé le 30 septembre 2024, qui employait 90 salariés. Les supérettes et épiceries ne suffisent pas à combler le vide laissé dans ce quartier d’habitat collectif.
Dans certains cas, l’hypermarché ne servait plus de locomotive et le centre commercial peut se passer d’une enseigne alimentaire, surtout sur une grande surface. À Plan de Campagne, troisième zone commerciale de France avec plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires cumulé et 500 commerces, un repreneur est recherché pour les 14 000 m² laissés par Intermarché. À Niort, Lidl serait intéressé par le site laissé vacant par Casino.
À Montpellier, le centre Odysseum (où 40 % de la surface est dédiée aux loisirs) ne remplacera pas le Géant Casino fermé par une enseigne alimentaire, mais par plusieurs enseignes spécialisées. À Lucé, l’ancien Géant Casino de 9 600 m² pourrait être remplacé par un mix alimentaire, jardinerie et bricolage.
Beaucoup de ces hypermarchés sont situés dans des centres commerciaux des années 1970 qui ont mal vieilli et n’attirent plus les consommateurs, surtout dans des régions où la population stagne ou diminue (Malemort, Bar-le-Duc, Aurillac). Si aucun repreneur ne se manifeste sous six mois, il est envisagé de transformer le centre commercial en retail park, un modèle jugé plus viable.
Les pouvoirs publics disposent de plusieurs instruments pour éviter la transformation des sites en friches, comme le droit de préemption, les plans locaux d’urbanisme, les fonds de revitalisation et l’accompagnement à la recherche de repreneurs. Toutefois, la puissance publique ne peut pas tout, et la réussite de la relance dépend de la capacité des acteurs à s’entendre et à adapter l’offre aux besoins locaux.