Emballage, l'épicerie salée fait sa révolution verte
Numéros de page :
pp.34-50
L’épicerie salée en France est au cœur d’une transformation majeure de ses emballages, sous l’effet de pressions réglementaires, d’innovations industrielles et de nouvelles attentes des consommateurs. Les enjeux économiques sont considérables, avec un chiffre d’affaires de 19,76 milliards d’euros pour le secteur (+0,3% en valeur, +0,4% en volume sur un an glissant à fin juin 2025). Les marques nationales représentent 62,3% de la valeur du marché, contre 37,7% pour les marques de distributeurs (MDD), ces dernières affichant une croissance de +1,1% en valeur et +2% en volume, portée par une offre élargie et un soutien promotionnel accru.
Les emballages sont omniprésents et leur impact environnemental est colossal. En France, 67% des emballages trouvent une seconde vie, mais seulement 27% des plastiques sont recyclés, contre 37% pour l’aluminium, 86% pour le verre et l’acier, soit 4 millions de tonnes d’emballages recyclés. Chaque Français trie en moyenne 58 kg d’emballages par an, avec des disparités régionales : 82,5 kg en Bretagne, 16 kg en Guadeloupe. Malgré l’élargissement des consignes de tri à 98% de la population, le recyclage du plastique reste faible, alors que la production mondiale de plastique est passée de 2 millions de tonnes en 1950 à 475 millions en 2022. Moins de 10% du plastique mondial est recyclé, et 8 milliards de tonnes de déchets plastiques, soit 80% de tout le plastique jamais produit, polluent la planète. Selon une étude publiée dans The Lancet, les plastiques seraient responsables de pertes économiques dépassant 1 500 milliards de dollars par an, soit près de la moitié du PIB français (2 900 milliards d’euros).
Le secteur de l’épicerie salée concentre 40% des innovations packaging en 2024 en France, devant les produits frais (25%), les boissons (18%) et les surgelés (16%). En 2024, 14,7% des innovations alimentaires françaises ont porté sur l’emballage, selon la base NewFoodData (plus de 30 000 produits innovants dans le monde). Les produits apéritifs représentent 16% du chiffre d’affaires de la catégorie, portés par l’essor des apéros dînatoires et une offre premiumisée (bio, local, recettes du monde). Certaines catégories progressent fortement : huiles (+7,5% en valeur), sauces vinaigrette (+5,7%), pickles et légumes marinés (+5%), graines salées (+5%), foie gras appertisé (+5%). D’autres reculent : champignons en conserve (-9,8%), corned-beef et escargots en boîte (-9,7%), tartinables de poisson (-9,1%).
La réglementation s’intensifie avec la loi Agec (2020) et le règlement européen PPWR (adopté le 19 décembre 2023), qui impose la réduction des déchets d’emballages de 5% en 2030, 10% en 2035 et 15% en 2040 (par rapport à 2018), l’intégration de matériaux recyclés (10 à 35% en 2030, 25 à 65% en 2040 selon les emballages), et des objectifs de réemploi (10% en 2030). Les emballages non recyclables, comme le PVC, seront interdits à l’horizon 2030. Le PPWR fixe aussi des taux minimums de réincorporation de matières recyclées et limite l’usage des emballages inutiles, déjà interdits en plastique par la loi Agec au 31 décembre 2025.
L’innovation dans les matériaux est stimulée par cette pression réglementaire. Lustucru a lancé en 2022 un emballage 100% papier, certifié FSC, recyclable et biodégradable, pour ses pâtes sèches. Sonoco a développé un tube Pringles composé à 90% de papier. La Boulangère a breveté en 2023 un emballage biosourcé et compostable à domicile, composé à 77% de matériaux issus de déchets végétaux. Sonoco produit aussi des boîtes tout aluminium pour l’alimentation animale, réduisant l’usage des emballages souples peu recyclables. Le Brin d’Olivier propose des sachets recyclables avec zip refermable pour ses olives. Jardin Bio étic et Élibio expérimentent la conserve en brique Tetra Pak pour les légumes secs, un format plus écologique et compétitif que la conserve métallique. Lesieur a supprimé le suremballage de ses tubes de mayonnaise, économisant 290 tonnes de carton et réduisant l’empreinte CO2 de 22%. Puget a augmenté la part de verre recyclé dans ses bouteilles d’huile d’olive à 86% (contre 45% auparavant), chaque augmentation de 10 points du taux de calcin réduisant de 5% les émissions de CO2 et de 2,5% la consommation énergétique des fours verriers.
La tendance aux petits formats répond à l’évolution démographique : un tiers des foyers français sont composés d’une seule personne. Polli propose des sauces en pots monoportions de 90 g, Barilla et Panzani déclinent aussi leurs sauces en petits formats. Cofigeo a développé des assiettes tri-compartimentées micro-ondables, plus riches en légumes (+25% par rapport à la moyenne), et des plats en boîte de 400 g. Ariaké lance en 2026 des bouillons en brique de 500 ml. Le Coq noir propose des repas nomades bio en conserve, inspirés de recettes du monde, avec 80% de matières premières françaises et des scores nutritionnels et environnementaux élevés (Nutri-score A, Planet-score A). Mousline adapte ses purées à des sachets recyclables de 90 g pour deux personnes.
Le réemploi progresse : en 2030, 10% des emballages devront être réemployés en Europe. Terra Delyssa propose une bouteille d’huile d’olive rechargeable, la recharge étant 96% plus légère qu’une bouteille en verre et 8 à 10% moins chère. En 2025, 40,6% des foyers français ont acheté des produits en vrac, mais ce mode reste marginal (3 actes d’achat par an, 18 € de dépense cumulée). La Coalition Défivrac (Bel, Danone, Famille Michaud Apiculteurs, Lesieur) expérimente le vrac pour des produits liquides ou pâteux, avec des bornes de dosage sécurisées et des pots consignés. Le projet R3Pack teste le réemploi d’emballages consignés (verre et plastique) pour 20 références dans 19 magasins Carrefour et Coopérative U. Le Fourgon, spécialiste de la consigne, a levé 8,2 millions d’euros, remis en circulation plus de 30 millions de contenants (900 tonnes de plastique sauvées), vise 2 millions d’emballages réemployés par mois d’ici fin 2025 et 100 millions d’ici 2028.
La praticité reste le premier critère de choix d’un emballage pour 70% des Français (76% des baby-boomers). 63% sont attentifs à l’emballage lors de l’achat, 55% à son impact écologique (57% des femmes, 60% des CSP+). Les jeunes (moins de 35 ans) sont plus sensibles à l’attractivité visuelle (58%) que les plus de 50 ans (41%). Les innovations pratiques sont moins nombreuses que celles axées sur le plaisir ou la gourmandise. Petit Navire a lancé des effilochés de thon en sachets souples de 130 g, D’aucy propose des bocaux avec capsule Orbit, deux fois plus facile à ouvrir, Carapelli commercialise un spray d’huile d’olive adapté à la cuisson à haute température, Mixpow conditionne des mélanges de fruits secs en canette métallique.
À l’international, plusieurs innovations marquantes sont relevées : sauces tomate en gourde refermable de 100 g (Cirio, Italie), pots d’épices en carton avec bouchon de liège (Natural Spices, Pays-Bas), recharge d’huile d’olive en canette de 500 ml (Graza, États-Unis), riz cuisiné en sachet nomade (Dukiake, Chine), bouteille d’huile d’olive en carton recyclé à 94% (Aeons, Grèce), lots de boîtes de thon sans suremballage plastique (John West, Royaume-Uni), plats instantanés dont le sachet devient assiette (The Rice Stuff Box, Canada).
En résumé, l’épicerie salée française est un laboratoire d’innovation pour les emballages écoconçus, sous l’impulsion de réglementations de plus en plus strictes, d’une demande croissante pour des solutions pratiques, responsables et adaptées à la diversité des modes de vie, et d’une dynamique forte d’expérimentation autour du recyclage, du réemploi, de la réduction des formats et de l’intégration de matériaux alternatifs.
