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La |Renaissance des médias analogiques en révolte contre l’IA

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Torn Light Records, un magasin de disques ouvert récemment à Chicago, illustre le renouveau des supports physiques, notamment chez la génération Z. Le vinyle connaît un essor continu depuis près de vingt ans : selon la Recording Industry Association of America, les ventes de LP et d’EP aux États-Unis sont revenues à leur niveau de la fin des années 1980. En 2024, elles ont progressé de 7 %, atteignant 1,4 milliard de dollars (1,2 milliard d’euros) pour 44 millions de disques vendus. L’album ‘The Tortured Poets Department’ de Taylor Swift s’est écoulé à 2,2 millions d’exemplaires en vinyle. Les disques vinyles sont devenus des objets de collection et, pour la génération Z, un signe d’engagement envers les artistes. Les cassettes audio, bien que restant un marché de niche, connaissent aussi un regain d’intérêt : au Royaume-Uni, les ventes ont bondi de plus de 200 % au premier trimestre 2025 par rapport à la même période en 2024. La photographie argentique retrouve également la faveur du public : la demande de pellicules a doublé en cinq ans, tandis que leur prix a augmenté de 50 % depuis 2019, selon un dirigeant de Kodak. Les cinéphiles se tournent à nouveau vers la pellicule 35 mm, et les salles d’art et d’essai projetant des films sur ce support affichent complet plusieurs semaines à l’avance, à l’instar du Music Box à Chicago ou du Metrograph à New York. Le retour du papier s’observe aussi dans la presse : ‘Playboy’ a relancé une édition annuelle, tandis que Joshua Kushner et Karlie Kloss prévoient de ressusciter le magazine ‘Life’ en version papier bimensuelle. D’autres titres, comme ‘NME’, ‘The Onion’ et ‘Saveur’, ont repris l’impression papier après des années de publication uniquement numérique. Ce regain d’intérêt pour les médias traditionnels s’explique en partie par la nostalgie et l’attrait des objets tangibles dans un monde dominé par le numérique. Mais la principale motivation est la réaction contre les algorithmes et l’intelligence artificielle. Le renouveau du vinyle a coïncidé avec l’essor de Spotify. Jack Savoretti, musicien anglo-italien, compare cette tendance à celle du mouvement Slow Food, soulignant que l’écoute de vinyles implique un choix conscient, contrairement à la consommation passive encouragée par les algorithmes de streaming. Les plateformes comme Spotify sont accusées d’introduire des “artistes fantômes” – des musiques composées par des anonymes ou générées par IA, dont elles détiennent les droits, pour réduire les redevances versées aux maisons de disques. Un groupe entièrement généré par IA, The Velvet Sundown, a déjà accumulé des millions d’écoutes grâce à son intégration dans des playlists Spotify. Selon Deezer, environ 20 000 titres générés par IA sont téléchargés chaque jour sur sa plateforme. En photographie, l’IA est omniprésente dans les smartphones, fusionnant plusieurs clichés ou permettant de supprimer des éléments indésirables, à la manière des retouches de propagande. Le cinéma en pellicule 35 mm reste, lui, relativement préservé de ces manipulations. Malgré l’engouement, le marché de l’analogique demeure limité : les vinyles ne représentent que 8 % des revenus de la musique aux États-Unis, et Kodak, bien que vendant plus de pellicules, reste loin de son apogée. Cependant, cette tendance influence le numérique : Fuji propose des appareils photo numériques avec mode “simulation pellicule”, et Qobuz, concurrent français de Spotify, privilégie les recommandations humaines. Dans un contexte de montée de l’intelligence artificielle, la “touche humaine” devient un argument de vente, à l’image des produits alimentaires valorisant l’absence d’“ingrédients artificiels”. Les œuvres d’art pourraient bientôt suivre cette logique, mettant en avant leur caractère 100 % naturel face à la production automatisée.