La |Politique commerciale de l'Union Européenne : entre ouverture, durabilité et géopolitique
Numéros de page :
pp.7-15
L’Union européenne (UE) a développé une politique commerciale propre, devenue un outil stratégique au service de ses ambitions politiques, écologiques et géoéconomiques, dans un contexte de lutte contre le changement climatique et de rivalités géopolitiques croissantes. Cette politique ne se limite plus à l’ouverture des marchés et à la signature d’accords commerciaux, mais vise aussi à promouvoir le développement durable, la défense des droits de l’homme et le respect des règles multilatérales.
L’UE, composée de 27 États membres, repose sur une union douanière et un marché unique, permettant la libre circulation des biens, services, personnes et capitaux, avec un tarif extérieur commun (TEC) pour les importations en provenance du reste du monde. Malgré une intégration incomplète (systèmes fiscaux, marchés des services financiers, énergie, transport, réglementations professionnelles différents), la politique commerciale est une compétence exclusive de l’UE depuis le traité de Lisbonne (2009), exercée par la Commission européenne qui négocie tous les accords au nom des États membres.
L’UE promeut des valeurs telles que la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit et les droits de l’homme, intégrées dans sa politique commerciale. Elle utilise cette politique comme levier pour favoriser le développement des pays tiers, réduire les émissions de carbone, lutter contre la déforestation et le travail forcé, notamment via la stratégie « trade for all » lancée en 2015. Les critères de durabilité, de préservation de la biodiversité et de respect des normes sociales sont désormais centraux dans la négociation des accords commerciaux.
L’UE reste un des derniers défenseurs du multilatéralisme commercial, attachée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et à la réforme de son système de règlement des différends. Contrairement à l’image de « forteresse protectionniste », l’UE affiche des droits de douane globalement bas : en 2022, le droit moyen (avec préférences) était de 2,06% pour l’UE, 2,20% pour les États-Unis et 3,60% pour la moyenne mondiale. La protection européenne est plus élevée dans l’agriculture que dans l’industrie. Depuis le 20 janvier 2025, les États-Unis ont augmenté leurs droits de douane de 10 points sur tous les produits importés, avec des droits additionnels spécifiques pour 58 pays (20% pour l’UE, 24% pour le Japon, 26% pour l’Inde, jusqu’à 50% pour le Lesotho), faisant passer leur droit moyen de 2,20% à plus de 30%. La Chine et le Canada ont adopté des mesures de représailles, mais pas l’UE à ce jour.
L’UE a adopté de nombreuses mesures non tarifaires (MNT) qui réduisent en moyenne les flux de commerce international de 12%, principalement des règles sanitaires et phytosanitaires. Les subventions à l’exportation ont été réduites, notamment dans l’agriculture, conformément aux règles de l’OMC, mais des aides à la production subsistent, en particulier pour la transition écologique (Pacte vert, plan REPowerEU).
L’UE utilise trois types d’accords commerciaux : l’accord multilatéral de l’OMC, les accords commerciaux régionaux et les préférences. Elle a conclu des accords de libre-échange avec le Canada (AECG/CETA, 2017), le Japon (JEFTA, 2019), la Corée du Sud, le Vietnam, Singapour, la Nouvelle-Zélande (2019-2020), le Chili (décembre 2024) et le Mexique (janvier 2025). Un accord avec le Mercosur a été conclu mais n’est pas ratifié, la France s’y opposant par crainte d’une hausse des importations de viande bovine et de déforestation accrue, malgré un quota tarifaire strict.
L’UE a mis en place le Schéma généralisé de préférences (SGP/GSP) pour les pays en développement, l’initiative « Tout sauf les armes » (TSA) pour les pays les moins avancés, et les accords de partenariat économique (APE) pour les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Cependant, ces préférences n’ont pas eu le succès escompté, les exportations de ces pays ayant du mal à respecter les règles d’origine et les normes sanitaires/phytosanitaires de l’UE.
L’UE dispose d’instruments de défense commerciale : droits antidumping (ex. : sur des produits en fer ou acier chinois en 2022), droits antisubventions (ex. : 17,4 à 37,6% sur les véhicules électriques chinois en 2024), et clauses de sauvegarde (ex. : sur certains produits en acier en 2018-2019). Ces mesures sont conformes aux règles de l’OMC.
Sur le plan commercial, entre 1967 et 2021, les exportations intra-UE ont été multipliées par 71 et les exportations extra-UE par 60, grâce à l’effet structurant du marché unique. Depuis 2007, la croissance ralentit mais reste positive, contrairement à la Chine, l’Inde et les États-Unis. En 2023, les échanges intra-UE concernaient principalement les produits chimiques (21%), mécaniques (14%), véhicules et agroalimentaire (13% chacun), et seulement 7% d’énergie. 59% des exportations et 58% des importations de l’UE étaient intra-UE. Les exportations extra-UE étaient dominées par les produits chimiques (25%), mécaniques (21%) et automobiles (12%), tandis que les importations extra-UE étaient plus diversifiées, avec 21% d’énergie. La première destination des exportations extra-UE était l’Europe hors UE (27%), suivie de l’Amérique du Nord (24%).
Depuis une dizaine d’années, l’UE fait face à de nouveaux défis : intégration des objectifs de durabilité et d’inclusion sociale, tensions géopolitiques, et enjeux économiques inédits. Trois règlements illustrent cet engagement : le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), imposant un prix carbone sur certaines importations (acier, ciment, électricité) pour éviter les fuites de carbone ; le règlement de 2023 interdisant l’importation de produits liés à la déforestation (soja, bois, huile de palme), avec une entrée en vigueur repoussée au 30 décembre 2025 pour les grandes entreprises et au 30 juin 2026 pour les PME ; et la réglementation sur les produits issus du travail forcé, interdisant la mise sur le marché européen de produits fabriqués dans des conditions d’exploitation, notamment en provenance du Xinjiang.
La pandémie de Covid-19 a révélé la dépendance critique de l’UE pour certains produits, notamment de santé. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a entraîné des sanctions sur les exportations, services financiers, technologies et transports, et mis en lumière la dépendance énergétique de l’UE envers la Russie, particulièrement pour l’Allemagne, ainsi que la dépendance de cette dernière au marché chinois. Les présidences Trump et Biden ont instauré un contrôle strict des transferts de technologie vers la Chine. Les interdépendances commerciales sont désormais exploitées à des fins politiques, comme le blocage par la Chine d’importations australiennes après la demande d’enquête sur la pandémie.
La Commission européenne a identifié des dépendances critiques dans des secteurs stratégiques (semi-conducteurs, technologies de l’information, intelligence artificielle, armement), cherchant à renforcer la résilience et l’autonomie stratégique de l’UE, tant à l’importation qu’à l’exportation, en identifiant les produits pour lesquels l’UE dépend d’un nombre limité de fournisseurs ou d’acheteurs. Résilience et autonomie stratégique sont devenues des objectifs centraux de la politique commerciale européenne.