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Make America Health Again. La vogue américaine des injections de testostérone

Numéros de page :
p.10
Aux États-Unis, les injections de testostérone connaissent une popularité croissante, alimentant un marché en plein essor. Les cliniques spécialisées, telles que Gameday Men’s Health, proposent des diagnostics rapides et des traitements immédiats, parfois même à des patients ne présentant pas de déficit avéré. Gameday, qui a ouvert sa 50e franchise à Atlanta en avril dernier, a vu 325 autres cliniques s’ouvrir en 14 mois à travers le pays. Entre 2019 et 2024, le nombre de prescriptions de testostérone est passé de 7,3 millions à 11 millions. Au Texas, le nombre d’ordonnances remplies au dernier trimestre de l’année dernière a dépassé le total de l’année 2021. Si les hommes de 45 à 65 ans restent les principaux utilisateurs, la croissance la plus rapide concerne les moins de 35 ans. Cette tendance répond à une baisse générale du taux de testostérone chez les hommes, attribuée à l’augmentation du diabète, de l’obésité, de la consommation d’opioïdes et de l’exposition aux toxines environnementales. Selon Mohit Khera du Baylor College of Medicine, 92 % des hommes ayant un faible taux de testostérone souffrent de dépression, et un simple test sanguin peut améliorer leur vie. L’hypogonadisme, souvent non diagnostiqué, peut être traité par des injections qui améliorent l’humeur, le sommeil, la libido et réduisent la masse grasse. Des personnalités publiques comme Joe Rogan (20 millions d’auditeurs) et Dax Shepard promeuvent ces traitements, vantant leurs effets sur la jeunesse et la prise de muscle (Shepard affirme avoir gagné 11 kg de muscle grâce à des injections massives). Sur les réseaux sociaux, des adeptes de la musculation et des “biohackers” encouragent l’automédication, même sans avis médical, dans un climat de défiance envers la médecine conventionnelle. Robert F. Kennedy junior, secrétaire à la Santé, suit lui-même un protocole de TRT à visée anti-âge. Cependant, des dérives sont constatées : selon l’Association américaine d’urologie, un quart des patients ayant suivi un TRT l’an dernier n’ont pas fait vérifier leur taux de testostérone avant de commencer, et un tiers n’avaient pas de déficit réel. Akanksha Mehta, médecin à l’université Emory, refuse près de 50 % des demandes de TRT, alors que Gameday accepte presque tous les patients. Les risques pour ceux qui n’en ont pas besoin sont limités à condition d’éviter les doses de musculation, mais la fertilité peut être compromise si le traitement n’est pas associé à une autre hormone. Mohit Khera estime pouvoir restaurer la fertilité à 25 % du niveau de base, mais des cas graves persistent. La qualité des soins varie fortement. Les fournisseurs en ligne (Hone, Hims, Maximus, DudeMeds) n’exigent pas de consultation en présentiel et fidélisent leurs clients via des abonnements. Certaines cliniques respectent les normes médicales, d’autres non. Gameday traite même des patients avec des taux normaux, arguant de bénéfices potentiels. Beaucoup de cliniques s’approvisionnent auprès de pharmacies spécialisées dans la fabrication sur mesure, ce qui rend les traitements moins chers mais non approuvés par la FDA, avec des risques de variation de puissance et de contamination. Pfizer, un fournisseur majeur, a signalé une pénurie de testostérone due à la demande croissante. La testostérone est classée comme drogue de catégorie III, avec un marché noir actif. Les douanes américaines ont saisi d’importantes quantités ces dernières années. Les entrepreneurs du secteur affirment respecter la législation, mais certains adoptent des pratiques douteuses. La demande reste très forte, et la question demeure de savoir si elle sera satisfaite dans un cadre médical ou non.