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“Serial CEO”, une mode dépassée

Numéros de page :
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Luca de Meo, 58 ans, nommé le 15 juin à la tête du groupe Kering, incarne le modèle du “CEO en série”, ayant déjà dirigé Fiat, Alfa Romeo et Renault. Son passage du secteur automobile au luxe, où il devra redynamiser des marques comme Gucci et Saint Laurent, est notable car les CEO qui changent régulièrement d’entreprise sont désormais rares. La tendance actuelle privilégie une approche “one and done” : la majorité des dirigeants atteignent le sommet une seule fois, cherchant à éviter les risques et la fatigue d’un nouveau départ. En dehors de la tech, les CEO en série sont devenus l’exception. Parmi les rares exemples figurent Dara Khosrowshahi, passé d’Expedia à Uber, et Brian Niccol, de Chipotle à Starbucks. En 2024, dans 13 indices boursiers mondiaux, 85 % des nouveaux CEO (187 sur 220) occupaient ce poste pour la première fois, selon Russell Reynolds Associates. Ce chiffre, en hausse depuis 2018, marque la septième année consécutive où les CEO expérimentés sont minoritaires dans les nominations. Près d’un tiers des CEO ayant quitté leur poste en 2024 se sont retirés complètement, invoquant la pression et la surveillance accrues du métier. Beaucoup n’occupent le poste qu’une seule fois, la durée moyenne des mandats se raccourcit, et le taux de rotation des CEO a atteint un record en 2024 avant de ralentir. Un nombre inédit de CEO partis l’an dernier étaient en poste depuis moins de trois ans. Face à la raréfaction des dirigeants expérimentés, les entreprises élargissent leur vivier de talents internes. Unilever a ainsi promu son ancien directeur financier, Fernando Fernandez, au poste de CEO. De plus en plus de CEO sont issus de postes de direction opérationnelle, financière ou régionale, comme António Simões, ex-directeur régional Europe chez Banco Santander, devenu CEO de Legal and General. Le métier de CEO est devenu plus difficile et imprévisible, marqué par la pandémie, la guerre en Ukraine, la reprise du conflit au Moyen-Orient, les défis économiques et les catastrophes climatiques. Les nouveaux dirigeants doivent aussi gérer l’essor de l’intelligence artificielle, la pression des actionnaires activistes, une sensibilité politique accrue et une visibilité médiatique renforcée, où un seul faux pas peut nuire à la réputation de l’entreprise. Selon un rapport de Milltown Partners et de la Chief of Staff Association, basé sur plus de 250 entretiens, les CEO doivent désormais s’engager, communiquer, inspirer et influencer un éventail de parties prenantes plus large que jamais, tout en étant soumis à une surveillance sans précédent. La sécurité des CEO est également devenue une préoccupation majeure, exacerbée par le meurtre de Brian Thompson, CEO de United Healthcare, à Manhattan le 4 décembre 2024. Les menaces sont passées de simples plaintes en ligne à des visites au domicile des dirigeants, entraînant une explosion des dépenses de sécurité physique. La hausse des exigences s’accompagne d’une forte augmentation des rémunérations. En 2024, le salaire médian des CEO des grandes entreprises américaines a atteint 30,9 millions de dollars, soit plus d’un cinquième de plus qu’en 2023. Les entreprises britanniques cherchent à combler leur retard. Si ces salaires et primes élevés rendent le poste attractif et peuvent assurer une sécurité financière à vie, ils attirent aussi l’attention et les critiques du public et des actionnaires. Malgré ces avantages, il devient courant que des cadres supérieurs refusent ou hésitent à accepter un poste de CEO, surtout dans les entreprises cotées ou en difficulté, ou après un premier mandat réussi. Certains préfèrent rejoindre des entreprises non cotées pour échapper à la pression, mais beaucoup refusent simplement le stress associé. La santé mentale est un enjeu croissant : les niveaux d’épuisement professionnel et d’anxiété augmentent chez les hauts cadres. Une enquête d’AlixPartners révèle que 81 % des CEO déclarent avoir besoin de plus de soutien personnel et professionnel pour réussir. Après leur mandat, de nombreux CEO se tournent vers des carrières “portefeuille”, cumulant des postes dans des conseils d’administration, des sociétés de capital-investissement ou la philanthropie. Noel Quinn, après 37 ans chez HSBC, dont un mandat de CEO, a quitté son poste pour rejoindre plusieurs conseils d’administration, dont la présidence de Julius Baer, afin de trouver un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Pour certains, le poste de CEO reste le Graal, notamment dans les petites entreprises, mais il n’est plus synonyme de tranquillité. Les exigences, la pression, la surveillance et les risques associés expliquent la fin de l’ère des “serial CEO” et la montée du modèle du mandat unique, souvent plus court, dans un environnement de plus en plus complexe et exposé.
Note Générale :