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De la mauvaise évaluation du risque climatique : pourquoi la plupart des stress tests sur le système financier réalisés sont bien trop optimistes

Numéros de page :
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Le réchauffement climatique menace la stabilité financière à travers deux types de risques : les risques physiques, liés aux événements météorologiques extrêmes, et les risques de transition, découlant des politiques et technologies accélérant la sortie des énergies fossiles. Ces deux risques sont interdépendants : l’aggravation des risques physiques peut pousser à des politiques climatiques plus strictes, augmentant ainsi les risques de transition. Initialement, les risques physiques étaient perçus comme plus lointains. En 2007, Mark Campanale, analyste en investissement durable, alerte sur le “carbone non brûlable” : les réserves de combustibles fossiles qui ne pourront être exploitées si l’on veut maintenir la hausse des températures mondiales à un niveau sûr. La loi britannique de 2008 sur le changement climatique fixe un objectif juridiquement contraignant de réduction des émissions. Campanale met en garde contre la formation d’une “bulle du carbone” si les objectifs d’émissions sont incompatibles avec les actifs fossiles existants, exposant les investisseurs à des pertes importantes et à des actifs immobilisés. En 2010, il cofonde le think tank “Carbon Tracker”, qui publie en 2011 un rapport indiquant que le potentiel d’émissions de CO2 des entreprises de combustibles fossiles cotées à Londres est plus de dix fois supérieur à l’ensemble des émissions de carbone prévues d’ici à 2050 selon les objectifs climatiques du Royaume-Uni. Cette idée se diffuse dans les milieux financiers, universitaires et militants, qui appellent les régulateurs à prendre en compte ce risque. En septembre 2015, Mark Carney, alors gouverneur de la Banque d’Angleterre, évoque dans un discours le risque des actifs fossiles “non brûlables” et l’exposition “potentiellement énorme” des investisseurs britanniques. Il propose que les entreprises divulguent davantage d’informations sur leur empreinte carbone pour éviter un “moment Minsky climatique”, c’est-à-dire un effondrement soudain du marché après une période de hausse, en référence à l’économiste Hyman Minsky. Ce discours marque un tournant, validant l’analyse de Campanale. Les réactions sont partagées : les climatosceptiques dénoncent une tentative d’introduire des politiques climatiques dans la régulation bancaire, tandis que certains militants craignent que Carney ne fasse trop confiance aux marchés privés, alors que des mesures publiques plus fortes (taxes carbone, limites d’utilisation des fossiles) seraient nécessaires. Beaucoup doutent que ces politiques soient appliquées à l’échelle requise, et estiment que la dépréciation des actifs fossiles serait progressive, laissant le temps aux investisseurs de s’adapter, contrairement à une crise financière systémique. Après le discours de Carney, l’idée que le climat menace la stabilité financière s’impose. En 2017, huit banques centrales ou autorités de surveillance, dont celles de Chine, d’Allemagne, de France et du Royaume-Uni, créent le Réseau pour le verdissement du système financier (NGFS), qui compte rapidement plus de 100 membres, dont la Réserve fédérale américaine et la BCE. Les banques centrales commencent à soumettre les banques à des stress tests climatiques, prenant les risques de transition aussi au sérieux, voire plus, que les risques physiques. Un examen des stress tests par les Nations unies conclut l’an dernier qu’ils montrent globalement que les systèmes financiers pourraient faire face aux deux types de risques, mais que les conséquences sont probablement sous-estimées. Les critiques dénoncent des modèles trop optimistes, qui excluent des risques majeurs comme les points de basculement climatique : des seuils qui, une fois franchis, entraînent des changements irréversibles, tels que la disparition de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental ou de la forêt amazonienne. L’Institute and Faculty of Actuaries du Royaume-Uni, dans un rapport de 2023, compare ces modèles à une simulation du Titanic heurtant un iceberg sans envisager que le navire puisse couler, causant la mort des deux tiers des passagers. Norges Bank Investment Management, le plus grand fonds souverain du monde, estime que certains modèles donnent des estimations “incroyablement basses” des pertes liées aux risques climatiques physiques, alors que d’autres analyses prévoient des conséquences bien plus graves. Les modèles sont en cours d’amélioration, et les banques centrales travaillent sur ce que Christine Lagarde, présidente de la BCE, a qualifié l’an dernier de “nouveau type de risque systémique” créé par les menaces climatiques et environnementales. Enfin, un nouveau risque politique, qualifié de “risque Trump”, s’ajoute à ces incertitudes. Chiffres clés : En 2011, le potentiel d’émissions de CO2 des entreprises de combustibles fossiles cotées à Londres était plus de dix fois supérieur à l’ensemble des émissions de carbone prévues d’ici à 2050 selon les objectifs climatiques du Royaume-Uni. En 2017, huit banques centrales ou autorités de surveillance créent le NGFS, qui compte rapidement plus de 100 membres. Selon l’Institute and Faculty of Actuaries du Royaume-Uni, dans le scénario du Titanic, la mort des deux tiers des passagers est comparée à l’ampleur des conséquences ignorées par les modèles actuels.