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Scoring. Les enseignes en première ligne

Numéros de page :
pp.32-37
Depuis le lancement du Nutri-score en 2017 jusqu’à Origin’info en 2024, les enseignes de la grande distribution (Carrefour, Intermarché, Auchan, Coopérative U, Casino, E. Leclerc, Biocoop) jouent un rôle central dans la création, la généralisation et parfois l’abandon des systèmes de notation des produits alimentaires, qu’ils soient nutritionnels, environnementaux ou relatifs à l’origine des matières premières. Le 12 juin, cinq groupes de distribution (Carrefour, Intermarché, Auchan, Coopérative U, Casino) ont cosigné une tribune pour demander au gouvernement d’accélérer la création d’un affichage environnemental harmonisé, fondé sur une méthodologie fiable et transparente, afin de permettre aux consommateurs de comparer l’impact environnemental des produits alimentaires. Depuis la loi Agec de 2020, le gouvernement tarde à formaliser un tel affichage. Les enseignes s’impliquent dans ces démarches pour se différencier, répondre aux attentes des consommateurs, valoriser leurs marques propres et contrer les critiques des ONG et associations de consommateurs. 64% des Français se disent sensibles ou très sensibles aux scorings et labels, selon NielsenIQ Homescan (IGP, 29 décembre 2024). Les labels les plus reconnus sont Nutri-score (64%), Label Rouge (63%), Origine France Garantie (42%), Bio (41%), Pêche durable MSC (27%), Label régional (26%) et Bleu-Blanc-Cœur (24%). Coopérative U surperforme sur les produits engagés, avec un indice de 160, proposant plus de produits responsables que sa part de marché globale PGC-FLS. Carrefour et E. Leclerc restent leaders avec respectivement 24,3% et 22,3% de parts de marché sur ces sujets (étude Green Shopper 2025, Kantar). E. Leclerc a lancé en avril 2025 Carbon’info, affichant l’impact carbone de plus de 6 000 produits alimentaires à marque distributeur sur son site et son drive, en réponse à une attente de la convention citoyenne pour le climat. Carbon’info estime les émissions de gaz à effet de serre (GES) à chaque étape du cycle de vie du produit, selon la méthodologie Agribalyse de l’Ademe. Ce scoring est exclusif à E. Leclerc, alors que d’autres systèmes comme Eco-score et Planet-score sont en compétition en attendant un affichage officiel. Les enseignes ont souvent été pionnières dans l’adoption des scorings. Intermarché a été la première à adopter le Nutri-score en juin 2017, suivi par E. Leclerc et Auchan, qui l’a généralisé en trois mois sur ses drives puis sur les packs. À l’inverse, six multinationales (Nestlé, Mars, Coca-Cola, Unilever, Mondelez, PepsiCo) se sont opposées au Nutri-score. Les distributeurs influencent aussi la méthodologie et la présentation des logos (couleurs, classement par lettre ou note). Origin’info, officialisé en mai 2024, vise à informer sur l’origine géographique des trois principales matières premières agricoles des produits alimentaires transformés. Toutes les enseignes de la GSA ont signé la charte. Biocoop, déjà pionnière sur la relocalisation des matières premières, adapte rapidement ses packagings et prévoit d’apposer le logo sur 100% de ses produits à marque propre. Carrefour défend activement le Nutri-score, notamment après la version 2 de 2023 qui note plus sévèrement certains produits. Face au retrait du logo par certains fabricants (Bjorg, Danone), Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, a exigé de ses fournisseurs l’apposition systématique du Nutri-score, menaçant de calculer et publier la note lui-même pour 20 000 produits si besoin. Seules des marques à forte notoriété comme Nutella résistent. Casino a lancé en 2017 l’étiquette Bien-être animal (BEA), en collaboration avec des ONG (CIWF France, Oaba, Welfarm), après 18 mois de conception. Casino a animé la création du référentiel, du système de notation et des audits, puis a partagé l’initiative avec Carrefour, Coopérative U et d’autres enseignes (sauf E. Leclerc). Aujourd’hui, toutes les grandes enseignes adhèrent à l’étiquette BEA, à l’exception de E. Leclerc. L’inflation a ralenti l’élaboration du référentiel porc, déjà formalisé chez Auchan. Les enseignes disposent d’un avantage pour généraliser rapidement les scorings grâce au drive, permettant d’afficher les notes en ligne sans attendre le renouvellement des emballages. Elles peuvent aussi stopper net une démarche, comme la Note globale (ex-Ferme France), abandonnée en 2022 faute d’adhésion (coût de 50 000 euros/an), ou Siga, indicateur du niveau d’ultratransformation, abandonné par Biocoop. La pédagogie est un enjeu majeur : pour qu’un scoring soit efficace, il faut que le mode de calcul, les audits et le logo soient connus des utilisateurs. Par exemple, l’Eco-score n’a qu’un taux de notoriété assisté de 35% selon Kantar. Les enseignes appellent à des campagnes publiques pour informer les clients et à un meilleur encadrement des labels, dont la multiplication crée confusion et méfiance. En résumé, les distributeurs sont devenus des acteurs incontournables dans l’élaboration, la diffusion et la pédagogie des systèmes de notation des produits alimentaires, jouant un rôle clé dans la transition vers une consommation plus responsable, tout en cherchant à valoriser leur image et leurs marques propres.