Les |Rouages de la prochaine crise financière
Bulletin : Le| Nouvel économiste 11 juillet 2025
Numéros de page :
pp.2-4
La crise financière mondiale de 2008, déclenchée par la faillite de Lehman Brothers, a provoqué des pertes de plusieurs milliers de milliards de dollars, des millions de pertes d’emplois, de maisons et d’économies, et a plongé les grandes économies dans la pire récession depuis 1929. Le marché immobilier, alimenté par la bulle des subprimes et l’effondrement des titres hypothécaires, a joué un rôle central dans cette débâcle. Depuis, des réformes ont renforcé la capitalisation des banques, la régulation des marchés et la protection des investisseurs.
Aujourd’hui, une nouvelle menace systémique se profile, non plus liée à des pratiques financières risquées, mais à la multiplication des catastrophes climatiques qui mettent sous pression l’immobilier et l’assurance. Selon un rapport du Sénat américain publié en décembre, la valeur des biens immobiliers pourrait chuter comme en 2008, entraînant une baisse de la richesse des ménages et exposant les États-Unis à un choc systémique comparable, voire pire, à celui de 2008.
Le Conseil de stabilité financière a signalé en janvier que dans les zones à risques, les assurances deviennent plus coûteuses et rares, et que les chocs climatiques pourraient provoquer de graves turbulences sur les marchés. Début février, Jay Powell, président de la Réserve fédérale américaine, a averti que les banques et assureurs se retiraient des zones à risque, prévoyant que dans dix à quinze ans, certaines régions américaines n’auraient plus accès au crédit immobilier ni à des agences bancaires, avec des conséquences économiques majeures.
Warren Buffett a annoncé à ses actionnaires que les prix des assurances immobilières avaient augmenté à cause de la hausse des dommages liés aux tempêtes, prévenant que les assureurs connaîtraient tôt ou tard des pertes faramineuses, sans garantie que cela ne se produise qu’une fois par an. Günther Thallinger, membre du conseil d’Allianz, a souligné que les températures mondiales approchaient de niveaux rendant l’assurance impossible, créant un risque systémique pour le secteur financier. Il a averti que la valeur économique de régions entières – côtières, arides, sujettes aux incendies – pourrait disparaître rapidement des registres financiers, avec un réajustement brutal des marchés.
Le retrait croissant des assureurs de nombreux États américains, pas seulement ceux sujets aux catastrophes naturelles, provoque une hausse vertigineuse des primes et l’impossibilité de renouveler les polices d’assurance. Les gouvernements, à court d’argent, proposent des régimes d’assurance de dernier recours, plus coûteux et moins protecteurs, ce qui fait baisser la valeur des maisons. La contagion s’étend, car l’assurance est nécessaire pour obtenir un crédit immobilier : la réduction de la couverture entraîne le retrait des banques, la fermeture d’agences et l’abandon du crédit immobilier par certains prêteurs. Les pertes s’accumulent, et ce phénomène touche aussi l’Australie et l’Italie, où les bouleversements climatiques ébranlent assureurs, banques et marchés immobiliers. De plus en plus de propriétaires se retrouvent avec des biens valant moins que leur prix d’achat, et chaque remboursement de crédit leur semble inutile.
Les défauts de paiement sur les crédits immobiliers, les saisies et les impayés de cartes de crédit augmentent, rappelant les crises passées, mais cette fois la cause est physique (le climat) et non financière, rendant la fin de la crise incertaine. Les avis divergent sur la possibilité d’un effondrement brutal : Christopher Waller, gouverneur de la Fed, estime que le changement climatique ne menace pas la stabilité des grandes banques américaines, citant les tests de résistance de la Fed qui montrent que les plus grandes banques pourraient absorber près de 100 milliards de dollars de pertes sur des prêts immobiliers et 500 milliards sur d’autres positions, même en cas de baisse de plus de 25 % des prix de l’immobilier.
D’autres experts, comme Dave Jones, ancien commissaire aux assurances de Californie, anticipent une multiplication des faillites d’assureurs, des hausses de prix, une offre restreinte, plus de défauts de paiement, des baisses de valeur des actifs et des gels de crédit, mais plutôt sous la forme d’un effondrement progressif que d’un choc unique. Il n’exclut toutefois pas un risque de crise brutale.
Un consensus existe sur le fait que les bouleversements financiers liés au climat, même progressifs, pourraient être plus graves que les crises passées, car ils sont dus à des causes physiques (émissions de carbone) et non à des défaillances financières, rendant la reprise incertaine. Ben Keys, économiste à la Wharton School, souligne que ce risque climatique n’est pas cyclique mais structurel et permanent, et qu’il peut avoir un effet grave et durable sur les prix de l’immobilier et la valeur des actifs, même sans choc majeur.
Ce changement de paradigme marque un tournant dans la perception de l’instabilité financière liée au climat, dont l’issue reste difficile à prévoir, mais qui pourrait avoir des conséquences majeures à long terme sur le secteur financier mondial.