Profession : prête-plume
Bulletin : LH le magazine juillet 2025
Auteurs
Numéros de page :
pp.72-75
Les prête-plumes, aussi appelés ghostwriters, sont les coauteurs de nombreux best-sellers et exercent un métier exigeant, jugé à la fois amusant, excitant et intense par ceux qui le pratiquent. Leur rôle consiste à mettre en forme le récit d’une personne qui n’a pas les outils pour s’exprimer, en exploitant différentes « voix » et en faisant preuve de générosité, d’empathie, de rapidité et d’une grande capacité d’écoute. Beaucoup viennent du journalisme, de la rédaction publicitaire ou de la littérature, et apprennent sur le tas les spécificités du métier. Les contrats se trouvent principalement par bouche-à-oreille, et il est courant, au début, d’accepter tous les projets pour se faire un nom, avant de pouvoir sélectionner ses collaborations.
Gabriel Katz, qui a travaillé sur une quarantaine d’ouvrages, évoque la nécessité d’avoir peu d’ego et de s’adapter à des personnalités parfois difficiles, certaines étant connues pour avoir « usé » trois ou quatre plumes successives. La relation de confiance entre l’éditeur et la plume est essentielle. Aurélie Ouazan, directrice littéraire d’Alisio, veille à constituer des binômes adaptés selon les affinités et caractères. Pour les ouvrages de développement personnel ou pratiques, elle fait appel à des rewriters, car l’émotion y est moindre et il s’agit surtout de structurer et vulgariser le propos d’un expert.
Dans le cas des récits de vie, l’écriture peut avoir une dimension thérapeutique, comme pour Valérie Bacot et Clémence de Blasi, coauteures de Tout le monde savait (Fayard, 2021), qui ont écrit « 200 pages d’horreur à la première personne », une expérience éprouvante. Pour les politiques, le livre est souvent programmatique et sans affect, tandis que pour les sportifs, il s’agit d’un exercice très impliquant, la plume les aidant à relire leur vie sous un nouvel angle. Ces collaborations créent parfois des liens très forts, comme entre Clémence de Blasi et Valérie Bacot, ou Arnaud Ramsay et des sportifs comme Bixente Lizarazu, Youri Djorkaeff et Antoine Griezmann, avec lesquels il a partagé plusieurs jours pour écrire leurs autobiographies.
Une bonne plume doit maîtriser les codes de la culture et des sous-cultures, être capable de s’adapter à des univers très différents. Clémence de Blasi, par exemple, n’était pas spécialiste des violences sexuelles avant de travailler sur Tout le monde savait, mais a souhaité s’impliquer pour mieux comprendre le sujet.
Un livre, même signé par une célébrité, reste un pari financier. Kylian Mbappé a vendu 222 000 exemplaires de sa bande dessinée, alors que certains ministres peinent à écouler 600 exemplaires de leurs mémoires. Le budget pour les services d’une plume varie de 4 000 à 15 000 euros. Malgré la tentation de recourir à l’intelligence artificielle (IA) pour réduire les coûts, les éditeurs interrogés estiment que l’IA ne peut remplacer les compétences humaines et émotionnelles des plumes, qui sont comparées à des « sages-femmes » ou des miroirs émotionnels. L’IA peut aider à rédiger un argumentaire ou traduire un PowerPoint, mais pas à concevoir un livre porteur d’une expérience et d’une personnalité uniques.
Frédéric Massot, romancier et consultant éditorial, a testé l’IA avec sa compagne romancière : l’IA a reproduit le style, mais sans point de vue, narration ni émotion, produisant un texte standardisé et répétitif. Charlène Guinoiseau-Ferré, codirectrice des éditions Jouvence, a détecté l’utilisation de l’IA dans un manuscrit au style changé, ce qui pose trois problèmes : tromper le lecteur, des sources non vérifiées, et la question des droits d’auteur.
La mention du nom de la plume en couverture dépend du souhait des coauteurs et de la stratégie marketing. Certains romanciers préfèrent rester anonymes pour ne pas être catalogués, tandis que sur les livres politiques, la plume reste invisible, ce qui est perçu comme un marqueur de mépris de classe. En France, l’écrit est associé à l’aristocratie culturelle, et il est admis qu’un footballeur ait besoin d’une plume, mais pas un ministre. Le rôle des plumes est tabou en littérature, bien qu’il existe : Gabriel Katz a travaillé sur plusieurs romans, parfois en retravaillant jusqu’à 80 % d’un manuscrit, sans pour autant toucher de pourcentage sur les ventes, ce qui symbolise le manque de reconnaissance financière et la grande invisibilité du métier.
Benjamin Castaldi, qui a publié six ouvrages coécrits et cosignés, insiste sur l’importance de la collaboration avec Frédéric Massot, qu’il considère comme essentielle et qu’il tient à mentionner en couverture. Il estime que l’IA ne peut remplacer ce travail d’équipe, fait d’émotion, de partage et d’amélioration mutuelle.
Enfin, une IA générative interrogée sur la question estime que l’IA ne remplacera pas les prête-plumes, qui apportent une voix unique et une profondeur émotionnelle que l’IA ne peut simuler. L’avenir serait à une collaboration entre humain et machine, l’IA assistant sans remplacer le talent du prête-plume.