Young adult. Le temps des girls boss
Bulletin : LH le magazine juillet 2025
Auteurs
Numéros de page :
pp.95-102
Le segment young adult, longtemps considéré comme un eldorado de l’édition, connaît un ralentissement, notamment pour les titres les plus commerciaux. Les libraires et éditeurs constatent une saturation du marché, avec une offre pléthorique de romans aux couvertures similaires, ce qui rend difficile la mise en avant de titres originaux. Le marché est devenu très concurrentiel, avec une arrivée massive de nouveaux acteurs et des enchères de plus en plus élevées pour les droits de livres étrangers. La durée de vie des ouvrages en librairie s’est raccourcie.
Selon GFK, le segment « romans adolescents » (hors Harry Potter) affiche un chiffre d’affaires en baisse, passant de 89 millions d’euros à 84 millions d’euros. En volume, la chute est de près de 11 % sur 2024-2025. Le volume total s’établit à 6 583 719 exemplaires, soit une baisse de 10,8 % par rapport à l’année précédente. Le chiffre d’affaires atteint 88 824 976 €, en recul de 5,5 %. Le prix moyen du livre augmente de 5,9 %, à 13,49 €. Le format poche est particulièrement touché, avec une baisse de 17 % en volume et en valeur.
Le pass Culture, qui permettait aux moins de 17 ans d’acheter des livres, a été restreint depuis le 1er mars 2025, excluant cette tranche d’âge du dispositif. Cette mesure a entraîné une diminution notable de la clientèle, affectant particulièrement les ventes de mangas et de young adult.
Malgré ce contexte, de nouveaux labels continuent d’émerger : Larousse a lancé en avril 2024 son label YA « Cornet » avec Better Than The Movies de Lynn Painter, axé sur des héroïnes complexes. En Suisse, Jouvence prévoit d’ouvrir en 2026 une sous-section YA au sein du label Château d’âmes, face à l’afflux de manuscrits du genre. Eyrolles a lancé le label Solleyre, dont les premiers titres ont nécessité une réimpression avant même leur parution, et dont les ventes ont dépassé les attentes.
La romance reste le genre dominant du young adult. Sur les dix premiers ouvrages du top GFK, huit sont des romances. Hunger Games : Lever de soleil sur la moisson (Suzanne Collins) occupe la première place, suivi de Mille baisers pour un garçon et Mille morceaux de cœur brisé (Tillie Cole). Les autres titres majeurs sont Secret Santa : Romance de l’Avent (Sophie Jomain), À contre-sens (Mercedes Ron, six tomes présents dans le classement), Nos étoiles contraires (John Green), et Un cœur pour Noël (Sophie Jomain). Suzanne Collins place cinq titres dans les 50 premières ventes annuelles. Le classement est dominé par des autrices internationales (Suzanne Collins, Tillie Cole, Mercedes Ron, Holly Black, Mona Kasten, Nine Gorman).
La romance influence fortement l’ensemble du secteur, au point de provoquer une forme d’indigestion chez certains lecteurs et autrices, qui regrettent que les intrigues amoureuses prennent souvent le pas sur d’autres éléments narratifs, comme le worldbuilding. Cependant, d’autres genres reviennent, notamment le thriller, qui retrouve une place dans les rayons YA, avec une préférence pour le thriller domestique (amis résolvant un mystère ensemble) plutôt que l’enquête policière classique. Des titres comme Everything We Never Said (Sloan Harlow), Murders Between Friends (Liz Lawson), The Wilderness Of Girls (Gallimard Jeunesse), Nos âmes consumées (Cornet) et Les imitations (Krystal Sutherland, Rageot) illustrent cette tendance, avec une incursion vers l’horreur.
Les éditeurs misent de plus en plus sur les éditions collector, qui étaient auparavant réservées à des titres déjà installés mais servent désormais à lancer de nouveaux ouvrages. Le collector est devenu courant, avec des éditions luxueuses (reliure cartonnée, jaspage, tranchefile, marquage à chaud). Toutefois, le succès de ces éditions était en partie lié au pouvoir d’achat généré par le pass Culture, et il reste à voir si l’engouement se maintiendra.
Le BookTok, qui avait fortement dynamisé le secteur, montre des signes de désengagement de la part des équipes du réseau. Les contenus sponsorisés fonctionnent moins bien, et seuls les contenus organiques, souvent humoristiques, parviennent à émerger.
Une nouvelle génération d’autrices françaises, souvent issues des plateformes d’écriture ou des réseaux sociaux, perce dans le secteur. Elles entretiennent une forte proximité avec leur lectorat, échangent entre elles et s’entraident, notamment via Instagram et TikTok. Elles revendiquent une écriture ancrée dans la réalité française, loin des clichés américains, et abordent des thématiques contemporaines et sensibles. Cette génération, qualifiée de « girls boss », maîtrise de nombreuses compétences (édition, animation de master class, correction, communication sur les réseaux sociaux) et contribue à renouveler le genre.
Le young adult reste parfois perçu comme un sous-genre peu valorisé, mais il est reconnu pour la richesse et la complexité de ses textes. La frontière de l’âge des protagonistes s’élargit, certains romans mettant en scène des jeunes adultes de plus de 20 ans, reflétant la réalité de la construction identitaire au-delà de l’adolescence.
En résumé, le marché du young adult en France traverse une phase de ralentissement, marqué par une baisse des ventes, une saturation de l’offre, la domination de la romance, le retour du thriller, l’essor des éditions collector, l’impact du pass Culture et l’émergence d’une nouvelle génération d’autrices françaises engagées et connectées à leur lectorat.