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Les |Services à la personne subventionnent le train de vie des plus riches

Numéros de page :
pp.66-69
Depuis plus de trente ans, l’État français soutient financièrement les ménages employant des personnes à domicile, initialement pour l’aide aux personnes âgées, handicapées ou la garde d’enfants, mais le champ des services éligibles s’est progressivement élargi à 26 activités, incluant l’entretien de la maison, le jardinage, le repassage, les petits travaux ou les cours à domicile. Ce soutien s’est traduit par des taux réduits de TVA (5,5 % ou 10 %), des exonérations de cotisations sociales et, surtout, un crédit d’impôt couvrant 50 % des sommes engagées, plafonné à 12 000 euros, transformé en 2006 pour bénéficier aussi aux ménages non imposables, puis élargi à tous en 2018, avec une avance immédiate depuis 2022. Le coût de cette politique a fortement augmenté, atteignant 6,79 milliards d’euros en 2022 (+25 % en euros constants sur dix ans), et le crédit d’impôt services à la personne (Cisap) est devenu la deuxième plus grosse niche fiscale, avec plus de 6,8 milliards d’euros prévus pour 2025, derrière le crédit impôt recherche. En 2022, le taux d’intervention publique moyen était de 74 %. Malgré cette dépense, la Cour des comptes a jugé les résultats « décevants » : la hausse des coûts n’a pas entraîné d’augmentation de l’activité. Après une forte croissance dans les années 2000, le nombre d’heures travaillées a diminué entre 2010 et 2015, puis s’est stabilisé, sauf en 2020 (crise sanitaire). La dépense publique par heure travaillée est passée de 6,73 euros en 2012 à 9,38 euros en 2021 (+29 % en euros constants). La répartition des aides est très inégalitaire : environ 40 % du crédit d’impôt bénéficient aux 10 % des foyers les plus riches. Sur les 6,7 milliards d’euros du Cisap en 2024, 2,6 milliards concernent l’entretien de la maison et les travaux ménagers, dont 2 milliards déduits de l’impôt des 20 % de Français les plus riches. Ces derniers captent aussi 600 millions sur les 800 millions d’euros consacrés aux travaux de jardinage. Les services financés relèvent souvent du confort ou du luxe plutôt que de besoins sociaux. En termes d’emploi, les résultats sont jugés « insignifiants » : environ 70 000 emplois créés depuis 2005, alors que la croissance du nombre de personnes âgées aurait dû dynamiser le secteur. Les emplois restent de mauvaise qualité : temps très partiels (39 % d’un temps plein en 2019), faibles rémunérations, horaires décalés et morcelés, risques professionnels élevés, forte féminisation, absence de perspectives de carrière. L’effet d’aubaine est jugé important : une partie des emplois subventionnés aurait existé sans aide publique. Les subventions ont toutefois permis de rendre l’heure de ménage déclarée 18 % moins chère que le travail au noir, mais la Cour des comptes estime que l’État ne fait pas qu’annuler l’avantage du travail informel, il subventionne le respect de la loi. Malgré l’ampleur des aides, la création d’emplois reste faible et le secteur peu attractif. Face à ces constats, plusieurs propositions de réforme visent à recentrer le soutien public sur les services liés à la dépendance et à la garde d’enfants, distinguant besoins sociaux et services de confort. Une réduction du crédit d’impôt à 40 % pour les services autres que la garde d’enfants et l’aide à la dépendance rapporterait environ 770 millions d’euros à l’État, selon le Conseil des prélèvements obligatoires. Cette proposition a été rejetée, notamment sous la pression du lobbying des grandes entreprises du secteur (Shiva, Oui Care, Acadomia, etc.) et de la droite parlementaire, qui invoquent le risque de retour du travail au noir et la menace sur l’emploi. Une tentative de transformation de la réduction d’impôt pour les frais de dépendance en crédit d’impôt, qui aurait fait passer le coût du dispositif de 220 à 800 millions d’euros (soit l’équivalent du crédit d’impôt pour le jardinage), a également échoué. Le débat reste vif, le gouvernement temporisant sur une éventuelle réforme du Cisap, malgré l’ouverture affichée par la ministre des Comptes publics. En résumé, le soutien public aux services à la personne en France représente une dépense croissante, très concentrée sur les ménages les plus aisés, avec un impact limité sur l’emploi et une efficacité contestée, ce qui alimente les appels à une réforme pour mieux cibler les besoins sociaux et réaliser des économies budgétaires.