Les |Banques étatiques et régionales au coude-à-coude
Bulletin : Jeune Afrique juin 2025
01 juin 2025
Numéros de page :
pp.78-81
Coris Bank International, groupe privé burkinabè, possède plus de 160 agences dans 10 pays africains. Parmi les vingt plus grands établissements de crédit de l’Umoa, cinq sont étatiques (BNI Côte d’Ivoire, BMS Mali, BIIC Bénin, Bicici Côte d’Ivoire, BNDA Mali) et six appartiennent à des groupes financiers régionaux (Coris Bank International Burkina Faso, NSIA Banque Côte d’Ivoire, Ecobank Côte d’Ivoire, Ecobank Burkina Faso, Coris Bank International Côte d’Ivoire, Ecobank Sénégal). Les filiales privées affichent un total de bilan de 9 283 milliards de F CFA (14 milliards d’euros), soit 42% de plus que les banques publiques, et 51% de plus en termes de dépôts, mais seulement 39% de plus pour les crédits alloués, ce qui montre qu’elles collectent plus d’argent qu’elles n’en prêtent.
Les banques étatiques, historiquement, soutiennent la politique économique de l’État, notamment dans des secteurs comme l’agriculture, et gèrent des fonds sectoriels (la BNI gère douze fonds nationaux). Les filiales privées, intégrées à des groupes régionaux en phase de consolidation, appliquent des normes prudentielles strictes et privilégient la rentabilité et l’innovation. Par exemple, la filiale sénégalaise d’Ecobank est la 16e banque de l’Umoa en termes de bilan mais seulement la 27e pour les crédits, afin de limiter les créances douteuses.
Les banques publiques sont en retard sur le maillage territorial et la digitalisation : en Côte d’Ivoire, il y a 70 agences NSIA contre 34 pour la Bicici, et ce retard se retrouve aussi dans les services financiers en ligne. Les groupes régionaux misent sur la numérisation pour réaliser des économies d’échelle, à l’image de la plateforme unique de paiement d’Ecobank, disponible sur tout le continent.
Les crédits des banques publiques sont principalement orientés vers de grands projets, souvent peu accessibles aux PME. En 2024, la BIIC a mené un consortium bancaire pour un projet de 86 millions de dollars visant à créer dix usines textiles. La BNDA au Mali soutient les campagnes agricoles, tandis qu’Ecobank finance les entreprises exportatrices de l’Uemoa. Les banques publiques bénéficient de flexibilités réglementaires temporaires pour ces projets de souveraineté économique, alors que les groupes régionaux se positionnent sur les segments les plus rentables.
Face à la réduction des investissements publics due à l’assèchement des liquidités des États, les bailleurs de fonds internationaux prennent le relais : en mai, l’IFC (bras financier de la Banque mondiale) prévoit d’octroyer 40 millions de dollars à la BNDA pour soutenir les PME et TPE, notamment celles dirigées par des femmes. Les banques privées cherchent aussi à capter ce marché, mettant en avant leur gouvernance et leur rayonnement régional.
Les banques étatiques souffrent parfois d’une gouvernance politique, avec des dirigeants nommés pour des raisons non bancaires. Pour rester compétitives, elles amorcent leur transformation : le 5 février, la BNI et la BNDA ont signé un partenariat stratégique pour développer des solutions innovantes de financement et de placement, financer des projets structurants et des PME, et renforcer l’échange d’expertise en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Les banques publiques s’ouvrent aussi aux investisseurs privés pour renforcer leur gouvernance et répartir les risques, comme l’État du Bénin qui va céder 40% de la BIIC en Bourse.
En 2023, l’État ivoirien a racheté la Bicici (ex-filiale de BNP Paribas) pour y faire entrer des institutions financières publiques, dont la BNI, dans l’actionnariat. Les bons résultats 2024 de la Bicici pourraient inspirer d’autres États, surtout dans un contexte de souverainisme financier croissant, notamment dans l’Alliance des États du Sahel. Au Burkina Faso, le gouvernement a exigé que toutes les banques reversent à la Banque des dépôts du Trésor, créée en 2023 et contrôlée par l’État, l’équivalent de 25% des dépôts à terme ouverts par les entreprises publiques.