Aller au contenu principal

Les |Douloureuses mutations des enseignes de mode

Bulletin : LSA 2847
12 juin 2025
Numéros de page :
pp.16-18
Depuis cinq ans, le marché de la mode connaît de fortes turbulences, avec une stabilisation des ventes en 2024 (chiffre d’affaires du textile à 39,84 milliards d’euros, stable par rapport à 2023, +0,3 % en volume à 2,6 milliards d’articles), mais les difficultés persistent pour de nombreuses enseignes. Depuis début 2024, plusieurs enseignes majeures ont été placées en liquidation judiciaire : Café Coton (60 magasins), Jennyfer (220 magasins), Kaporal (40 boutiques) et Clergerie. Naf Naf et André sont à nouveau en redressement judiciaire. Spartoo a fermé tous ses points de vente physiques, tandis que C&A prévoit de fermer 24 magasins sur la centaine qu’elle possède en France, ainsi que tous ses corners en GMS. Les causes principales de ces difficultés sont la baisse de la consommation, la concurrence accrue des plateformes asiatiques comme Shein et Temu, et la hausse des coûts fixes, notamment des loyers. Jennyfer, par exemple, a vu ses loyers augmenter de 18 % en trois ans, ce qui aurait nécessité une croissance annuelle de 10 % du chiffre d’affaires pour compenser, alors que son chiffre d’affaires a chuté de 20 % sur la même période. Spartoo évoque également des pertes de 1,5 à 2 millions d’euros par an à cause des loyers, estimant qu’ils devraient baisser de 10 à 15 % minimum pour redevenir viables. Entre 2020 et 2024, 59 enseignes de mode ont été concernées par une procédure judiciaire en France, soit le secteur le plus touché, entraînant la fermeture de 3 600 magasins. Le parc des enseignes de plus de 30 magasins a diminué de 16 % en cinq ans, soit plus de 3 000 magasins perdus. En 2024, 141 enseignes disposent de plus de 30 points de vente, contre 149 en 2019. Même des groupes en croissance, comme Inditex (Zara), réduisent leur réseau pour privilégier des magasins plus grands, avec des fermetures ciblées et des extensions de flagships. Malgré ce contexte difficile, certains acteurs affichent de bonnes performances : Kiabi (+5 % de chiffre d’affaires en 2024), Grain de Malice (+12 %), Vib’s (+5 %). La mode reste le principal moteur des centres commerciaux, représentant 21 % de l’offre et 22 % des ouvertures de magasins en 2024. Une trentaine d’enseignes ont augmenté leur parc de magasins de plus de 20 % entre 2019 et 2024, dont Vib’s, Chaussea, Naumy, Blackstore, Jack&Jones, Intimissimi, New Yorker, Only, Calzedonia, Maison 123. Grain de Malice vise 15 à 20 ouvertures par an, avec un objectif de 320 à 350 magasins en France. La clé du succès pour les enseignes réside dans la différenciation, l’expérience client, l’identification claire de la cible et l’agilité. Certaines enseignes, comme Besson Chaussures, misent sur une offre variée et l’adaptation rapide aux tendances (ex : sneakers). Les opportunités de développement existent, notamment en centre-ville et dans les centres commerciaux, du fait des déboires d’indépendants et de chaînes concurrentes. Les enseignes cherchent aussi à réduire leur empreinte environnementale : relocalisation partielle de la production (Jennyfer a rapatrié 30 % de sa production en Turquie), fabrication plus vertueuse, production ajustée à la demande, développement de l’occasion (Kiabi a déployé des corners seconde main dans tous ses magasins français). Toutefois, ces efforts RSE ne sont pas encore des déclencheurs d’achat pour la majorité des clients, qui privilégient le prix, la qualité et le plaisir. La concurrence des plateformes asiatiques est exacerbée par l’absence de contraintes équivalentes à celles des enseignes physiques françaises. Selon Bercy, 94 % des produits contrôlés dans les colis provenant de ces plateformes sont non conformes, dont 66 % pour dangerosité. Face à cette situation, une loi « anti fast-fashion » est en cours d’examen : elle prévoit un système de bonus-malus, l’interdiction de la publicité pour la fast-fashion, et une taxe sur les colis de moins de 2 kg provenant de pays hors Union européenne. Les enseignes françaises espèrent que ces mesures permettront de rééquilibrer la concurrence. Le texte doit encore être examiné par la Commission européenne puis en commission mixte paritaire. En résumé, le secteur de la mode en France traverse une phase de mutation profonde, marquée par des fermetures massives de magasins, des procédures judiciaires nombreuses, une pression concurrentielle inédite des plateformes asiatiques, et une nécessité d’adaptation rapide, tant sur le plan commercial qu’environnemental. Malgré les difficultés, certains acteurs parviennent à croître en misant sur la différenciation, l’agilité et l’innovation, tandis que le cadre réglementaire évolue pour tenter de rétablir des conditions de concurrence plus équitables.